Rosette, accompagnée de son fidèle Benoît, arrive au pays des « Visages gris. » C’est ici le royaume de la bureaucratie et de la paperasserie : les indigènes, à force de vivre dans les Livres et dans les registres, parmi les fiches et les circulaires, ont fini par avoir eux-mêmes le teint couleur de vieux papier. C’est pourquoi Rosette, dont l’air de santé tranche sur toute cette grisaille, mérite d’être appelée la Jeune fille aux joues roses. Sitôt débarquée, elle est en proie aux mille chinoiseries d’une administration auprès de laquelle la nôtre est un jeu d’enfant. Dans cette Terre promise des archives et de la poussière, il y a des tickets et des étiquettes, des cartons verts, des carnets à souches et des aide-mémoire, mais il n’y a pas de fenêtres, et l’air n’entre pas ; un ventilateur déplace seulement les poussières et la lumière artificielle se substitue désavantageusement à celle du jour. Enfin, la régente du royaume porte un nom qui est tout un programme : elle s’appelle Anastasie !
Si donc on prenait les choses au sens littéral, la comédie de M. Porché serait une satire des bureaux et de l’Administration par un grand A. Je me demande si elle vient tout à fait à son heure. Je sais très bien que M. Lebureau n’a pas une bonne presse, et il faudrait plus de courage que je n’en ai pour prendre sa défense. On peut tout de même y regarder d’un peu plus près et ne pas se contenter de plaisanteries faciles. J’ai entendu dire que, pendant toute la durée de la guerre, l’Administration nous a rendu les plus grands services, et je le crois volontiers. Elle nous en avait rendu de plus grands encore en 1870-1871, où c’est une vérité reconnue qu’elle nous a sauvés. Pour ce qui est de la Censure, qu’elle ait été plus d’une fois arbitraire et tatillonne, qu’elle ait commis des abus et des erreurs, qu’elle se soit montrée sévère surtout pour les mieux intentionnés d’entre nous, je n’en disconviens pas. Mais aussi, qu’elle ait été une institution nécessaire et qu’elle nous ait épargné de grands malheurs, c’est ce que ne contestera aucun homme de bonne foi. Ce qu’on pourrait lui reprocher, ce ne sont pas ses rigueurs, mais bien plutôt certaines complaisances. Du reste, l’auteur de la Jeune fille aux joues roses ne s’en prend pas seulement à la manie de la réglementation ; il raille aussi toute organisation, celle même de la justice, et en général toute autorité et toute contrainte. Je ne suis pas absolument sûr que le mal dont souffre l’Europe en ce moment soit surtout un excès d’ordre, de discipline, de docilité, de respect, d’obéissance aux chefs. Un vent qui souffle de Russie a beaucoup changé tout cela... Mais apparemment ce n’est pas le lieu d’aborder de si graves