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combattu du 13 au 18 ; puis engagé de nouveau vers Roye, il a pris et perdu Billancourt le 24, et depuis a lutté sans trêve :


Dimanche, 4 octobre. — L’ordre arrive d’attaquer. Le régiment est à grand’peine rassemblé dans un ravin. Tout le monde est très fatigué, mais on y va tout de même de bon cœur. Contre-ordre. A douze heures, nouvel ordre. Les Allemands vont attaquer surtout le front, nous contre-attaquons. A deux heures, le mouvement commence. On se défile dans le ravin. Au débouché du chemin on est salué par une salve de balles et d’obus. Au-dessus de nos têtes, les 77 déchirent l’espace et lancent du feu. Enfin on s’empare de quelques tranchées. L’attaque semble réussir, on avance vers Roye. Je suis avec le capitaine de K... et le commandant Lambert dans une petite tranchée. Les obus passent juste au-dessus de nos têtes, rasant le parapet, cinglant l’air, nous aspergeant de terre. Si on levait la tête, elle serait emportée. Les balles sifflent de toutes parts. Le capitaine de K... récite cinq fois : « Je vous salue, Marie... » ; Sevin et mol nous répondons. A ce moment arrive le lieutenant Fourtier. Il est blessé. Il est heureux : il a fait avancer ses mitrailleuses et a fait de bon travail. Le capitaine de K... m’envoie porter un renseignement au général. Mais ce n’est pas facile de sortir de la tranchée : l’air est sillonné d’obus et de balles. N’importe, il le faut. Alors je sors et bondis au pas de course à travers champs. Les camarades me croient tué. Mais je repars. Une fois le renseignement donné, je me repose un peu avec Leleuvre dans un ravin. Les balles sifflent toujours, les obus éclatent. Partout il y a des morts.

L’attaque semblait réussie, quand parvient l’ordre de repli. Une fois encore, il faut reculer sans savoir pourquoi... A ce moment, les Allemands nous chargent en masse. On entend le son plaintif et aigu de leurs fifres. Quel air lugubre ! Pendant ce temps, la nuit est tombée. Le 250e nous tire dessus. Et toujours, dans le lointain, le son de la charge boche. Ils crient et chantent. On reforme le régiment en rassemblement articulé. On fait former les faisceaux. Les hommes exténués se courbent : il fait nuit.

Lundi, 5 octobre. — La bataille engagée depuis quinze jours se poursuit toujours avec fureur. Voilà quinze jours consécutifs que le 124e se bat sans répit. Les hommes sont à bout. Le régiment n’est plus que l’ombre de lui-même. Plus d’officiers. Un chef de bataillon fait fonction de colonel. Les compagnies sont commandées par des adjudants ou même par des sergents-majors. Les effectifs sont réduits de plus de moitié. Nous aspirons tous au repos. Mais il faut tenir encore : pas un ne reculera.

Mardi, 6 octobre. — A quatre heures, debout ! Matinée calme.