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C’est que ces officiers avaient dès longtemps, dans la brousse du Soudan ou dans les sables sahariens, fait leur veillée des armes, et que, les uns dans les combats du Maroc, les autres dans le labeur ingrat des garnisons, ils avaient exercé pendant des années cette vertu d’abnégation à quoi tant de Français n’avaient ouvert leurs âmes que de la veille. Par eux nos soldats s’étaient reliés aux ancêtres, s’étaient reconnus avec ravissement comme les petits-fils et les arrière-descendants de soldats disciplinés ; grâce à eux, ils retrouvaient intact, fidèlement gardé, leur propre patrimoine, le dépôt des vertus guerrières de leur race, et c’est pourquoi, de l’Ourcq à Sézanne et des Marais de Saint-Gond aux Hauts de Meuse, tous d’un même cœur ils y allèrent, aussi purs que leurs anciens, les hommes d’armes de la Pucelle.


Sur la Marne, par suite du regroupement de nos forces, notre infanterie, presque toujours manœuvrée jusque-là, put enfin manœuvrer à son tour et mener le combat en rase campagne, celui qu’elle avait été préparée à. mener. Et ce fut aussi le caractère des actions multiples, aux péripéties tour à tour offensives et défensives, où elle fut engagée durant la « Course à la Mer, » tandis que les deux adversaires essayent chacun de gagner l’autre de vitesse et de le déborder, » roquent » en même temps, remontent peu à peu de Ribécourt vers Roye, vers Arras, vers La Bassée, vers Ypres. Les hommes sont jetés à la bataille au débarquer des wagons, — combien, pleins de sommeil, s’endormirent sur leur fusil, la cartouche à demi poussée dans le magasin ! — puis sont rembarques, débarqués à nouveau, plus haut, plus bas, pour boucher quelque brèche. : Comment rendre l’impression de cette mêlée et de ce hourvari, mieux qu’en transcrivant une page au hasard de l’un de ces carnets de route, si beaux, comme on en a tant publié, où des soldats, depuis tombés au champ d’honneur, notèrent au jour le jour les actes de leur régiment ? C’est un jeune sergent du 124e, Alfred Joubaire, qui parle [1]. Son régiment, qui a retraité du Luxembourg belge jusqu’à Ville-sur-Tourbe, a été transporté le 12 septembre au ravin de Moulin-sous-Toutvent, y a

  1. A. Joubaire, Pour la France, p 118.