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création d’obstacles sérieux et mise en place des défenses accessoires, réseaux de fil de fer, etc., et améliorer le reste les jours suivants, de manière à mettre ces organisations en état de résister à toute attaque. »

Quant à ériger le procédé en système de guerre universel, quant à « remuer de la terre » uniformément sur le front de toutes les armées ; c’est le projet que nul, ni chez les Allemands ni chez nous, n’a jamais conçu ; c’est l’idée qui n’a jamais existé en tant qu’idée ; c’est la chose qui fut seulement constatée après coup, à l’état de fait accompli. Les Allemands, eux aussi, à leur entrée en guerre, n’avaient rêvé que du combat en rase campagne, « énergique et rapide, » seul conforme à ce qu’ils appelaient, comme nous, leur « grande tradition, » seul digne du « tempérament offensif » qu’ils s’attribuaient comme nous. Comme nous ils s’étaient indignés d’abord d’être ravalés, eux, les guerriers, aux besognes des terrassiers : ils ne s’y ployèrent, tout comme nous, que sous le fouet de la nécessité [1].

Comment le phénomène s’était-il produit ? Peu à peu et en des circonstances diverses. Ici, en Lorraine, dès que l’on eut commencé, de part et d’autre, pour la course à la mer, à transporter en hâte les divisions après les divisions vers le Nord, les rares unités restées sur place avaient profité du répit pour se terrer plus ou moins, par crainte de quelque retour offensif de l’adversaire ; ailleurs, dès le 20 septembre environ, au pied des

  1. Des faits, des documents nombreux le prouvent. Voici, par exemple, quelques lignes d’un article paru dans le Tag du 22 juillet 1915. Son auteur, le colonel Immanuel, est un écrivain militaire apprécié : « Avant la guerre, dit-il, la tranchée avait sa place dans tous les règlements allemands ; mais on ne peut pas dire qu’elle fut chez nous en grande faveur. On y voyait un expédient, on s’en passait volontiers, on n’y recourait qu’en cas d’extrême nécessité. Dans la plupart des manœuvres d’automne, on ne voyait apparaître les bêches qu’au moment de l’appel, quand un chef voulait s’assurer qu’elles avaient été nettoyées et que le nombre y était. Fidèles à notre grande tradition militaire, nous attachions une importance primordiale à la rencontre, au combat en rase campagne, énergique et rapide. Il était donc tout naturel qu’on regardât la tranchée avec une certaine méfiance, on peut dire avec un mépris à peine dissimulé. On redoutait qu’elle ne devint la mort de l’offensive, et dans la défensive on n’en attendait pas non plus grand avantage, puisqu’il fallait renoncer à toute liberté de mouvement. Pendant les manœuvres, on s’abstenait de remuer de la terre, pour ne pas abimer les cultures D’ailleurs, on ne pensait pas avoir à recourir à la tranchée dans une véritable guerre : on comptait bien battre l’ennemi avant qu’il fût question de se terrer... » Ne croirait-on pas lire un article d’un de ces critiques chagrins de chez nous, qui si souvent ont répété le lieu commun de notre imprévision ?