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hauteurs de l’Aisne, de Nogent-l’Abbesse, de Moronvilliers, les Anglais et les Français avaient senti qu’ils ne pourraient tenir sur un terrain dominé que s’ils se retranchaient ; ailleurs, en pays de plaine, des lignes capricieuses, incertaines, avaient été vaguement tracées là où les infanteries s’étaient arrêtées à bout de souffle sur des positions de fin de combat. Presque partout, à la fin d’octobre 1914, ce ne sont encore que des installations du moment, sommaires, les trous individuels que les hommes se sont creusés en pleine lutte et que peu à peu ils ont reliés aux trous voisins. A quoi bon s’implanter plus profondément ? Demain, pense-t-on, la bataille se rallumera, ici ou là, et le mouvement va reprendre, dans quelques heures peut-être.

L’Allemagne partage cette confiance. Elle croit. encore à la fin proche et soudaine de la guerre. Le 18 octobre 1914, le major Moraht écrit : « La décision viendra comme un voleur dans la nuit, sans se faire annoncer [1]. » Le 4 novembre, il reproduit joyeusement ce témoignage d’un neutre : « Le soldat français n’en peut vraiment plus <[2]. » Le 7 novembre, à la nouvelle que les Français attendent l’entrée en ligne, entre le 15 février et le 15 mars 1915, de nouvelles forces britanniques, il écrit : « Nous devons espérer et escompter qu’à ces dates la décision sur le front français sera depuis longtemps déjà chose acquise [3]. » Non, les Allemands n’avaient pas prévu la guerre immobile, car c’eût été prévoir la guerre longue, donc désastreuse pour eux ; et s’ils l’avaient prévue telle, ils ne l’auraient pas déchaînée, ils fussent restés chez eux. S’il est une vérité qui domine l’histoire de ces quatre ans, c’est bien celle-là.

Cependant, les jours passent. Ni les Allemands n’attaquent, ni nous. De part et d’autre, les caissons de l’artillerie sont à peu près vides, et trop de sang a coulé. Le front de plus en

  1. Major Moraht, Der Völkerkrieg, t. I, p. 134.
  2. Ibid., p. 152 : « Der französische Soldat kann einfach nicht mehr.
  3. Ibid., p. 157 : « Wir müssen hoffen und erwarten, dass zu diesem Zeilpunkt die Entscheidung auf fz. Boden Idngst gefallen ist. » Rien de plus précieux que le recueil de ces articles à qui veut suivre les mouvements de l’opinion publique en Allemagne : on y voit, par exemple p. 79, p. 85), que, malgré le silence des communiqués officiels, la nation entière a « senti passer », pleine d’angoisse » notre victoire de la Marne. On y voit aussi de quel cœur unanime elle a approuvé la violation de la Belgique et la dévastation sauvage des pays envahis.