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plus s’est fixé, ou, selon une métaphore nouvelle dans le langage militaire, il a « cristallisé. »

Mais depuis trop longtemps nos fantassins tiennent la ligne avancée, prêts à toute alerte, presque coude à coude, à raison d’un homme par mètre courant, sur les 850 kilomètres du front français. On ne saurait les y maintenir tous indéfiniment. Comment les relever pourtant ? Où trouver des disponibilités ? Il n’y a d’autre parti que de diminuer la densité des effectifs sur la ligne de feu, ce qui n’est possible que si l’on organise plus puissamment le terrain. Les Allemands s’y appliquèrent systématiquement quelques jours ou quelques semaines avant nous, parce que, ayant leurs visées sur la Russie, ils s’étaient résolus à garder pour un temps, en France, une attitude expectante. Ce ne serait qu’une pause, croyaient-ils, et nous, de notre côté, nous espérions, à la faveur de quelque victoire russe, les bousculer bientôt.


De part et d’autre, le système défensif prend figure. Il consiste, à l’ordinaire, en une ligne continue de tranchées, creusées à hauteur d’homme, que double, à cent ou deux cents mètres en arrière, une ligne de soutien, et que renforcent des points d’appui, bois, fermes, villages, sommairement organisés. Peu à peu, parce que le moyen d’action le plus puissant dans la défensive, c’est le feu de flanc, on aménage la première ligne en crémaillère, et l’on y établit des mitrailleuses comme organes de flanquement. En face, à des distances qui varient, en terrain découvert, de 400 à 40 mètres, s’étend la ligne ennemie : entre les deux, par delà les réseaux de fil de fer, la terre « qui n’est à personne, » la zone interdite, la zone de mort. Une seule consigne : tenir, user l’ennemi. Et, comme les munitions d’artillerie sont rares, c’est aux fantassins eux-mêmes qu’on demande d’exercer sur l’adversaire cette action continue d’usure : les deux infanteries terrées déchaînent au moindre bruit des feux de mousqueterie ou des bordées de mitrailleuses sur tout ce qui semble vivre devant elles. Mais le fusil et la mitrailleuse sont des armes à tir tendu, et le problème est d’atteindre l’ennemi au fond de la tranchée. La grenade à main fait donc son apparition, chez les Allemands d’abord (vers le 15 novembre, semble-t-il). Aussitôt nous retirons de nos places