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désireux de se former une idée complète de l’univers. On ne connaît de lui qu’un seul traité complet, le Traité de peinture, mais il en projetait une foule d’autres, dont nous ne possédons que les notes éparses avec d’innombrables figures dessinées par lui. Traités de mécanique, de géologie, d’hydraulique, de botanique, d’anatomie, de physiologie, etc.. C’était un observateur aigu, un expérimentateur ingénieux. Il soupçonna, avant les savants modernes, la similitude des ondes de la lumière et du son. Il découvrit la chambre obscure, étudia dans leurs Moindres détails les mouvements de l’eau, des vagues, des corps liquides et aériens. Il devina le mécanisme du vol des oiseaux par le mouvement des ailes et le déplacement de l’air. « Pour voler, disait-il, il ne me manque que l’âme de l’oiseau. » Léonard devança Galilée et Bacon de cent ans. Dans ses études d’histoire naturelle, comme dans ses spéculations philosophiques, il se plaçait strictement sur le terrain de la science expérimentale, ne reconnaissant d’autre norme que les lois immuables de la nature et d’autre guide que la raison, souveraine de l’homme et du monde.

Léonard était parvenu ainsi à construire un schéma grandiose de cette nature, dont la science lui avait promis de lui donner le dernier mot, en lui apparaissant dans une première et superbe vision de jeunesse. Sur la terre, travaillée par le feu central, substance et ferment du grand tout, il voyait s’échafauder les règnes de la vie, les couches successives du globe pendant des milliers d’années. Car il avait deviné l’antiquité de la terre par les coquilles de mollusques trouvées sur les montagnes. Il voyait s’épanouir ensuite la splendide efflorescence du monde végétal avec la fourmillera des animaux, dont chaque espèce est comme une nouvelle pensée du Créateur. Au-dessus de leur foule étonnée, s’élevait enfin l’homme, qui seul parmi tous les êtres vivants dresse son front vers les étoiles, l’homme devenu créateur à son tour, qui, pareil à l’Hermès de l’atelier, faisait sortir du fond des mers une forme de beauté radieuse, la Femme. Transporté par la vision intérieure comme au centre de la création, Léonard écrivit dans, son carnet : « Si la structure de ce corps te parait merveilleuse, pense que cette merveille n’est rien auprès de l’âme qui habite une telle architecture. Quelle qu’elle soit, celle-ci est vraiment une chose divine ! » Et le maître ajoute en manière