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de conclusion : « Notre corps est soumis au ciel et le ciel est soumis à l’esprit [1]. »

Comme l’onde d’un son puissant, il entendit l’écho de cette pensée se perdre dans l’espace et monter jusqu’à Dieu. Pour le coup, il fut sur le point de s’écrier ? » Nature, je te tiens... Ton secret le voilà ! » Mais il se retint. Un doute venait de traverser son esprit comme une flèche. « Le premier moteur, » ce Dieu partout présent, qui agit dans tous les êtres, suffisait à la rigueur pour expliquer la terre et ses trois règnes, comme agissant en eux d’une impulsion universelle, immédiate et constante. Mais suffisait-il pour expliquer l’âme humaine ? Léonard croyait à un Dieu lointain comme on croit à la nécessité éternelle, à l’inflexible loi des choses. Mais il ne croyait pas à l’âme séparée du corps, ne pouvant se la figurer sans organes. Or, comment l’âme humaine, avec sa conscience et sa liberté, avec ses rébellions et son sens de l’infini, était-elle sortie de Dieu pour entrer dans un corps périssable et que devenait-elle après la mort ? Entre le monde mural qui éclaire notre conscience et le monde matériel qui nous porte et nous entoure, le penseur venait d’entrevoir une fissure qui s’ouvrait sous ses pieds comme un noir abime et plongeait à des profondeurs insondables. Hélas ! en un clin d’œil, l’univers avait changé d’aspect. Quoi de plus splendide que le ciel étoilé vu de la terre, ce ciel dont la science orgueilleuse lui avait promis l’étreinte et la possession ? Mais la nature terrestre, Vue du ciel de l’Esprit, la nature vue dans ses entrailles et son laboratoire, quel gouffre épouvantable et quel enfer ! Léonard y apercevait maintenant, sous leurs formes primordiales, les puissances néfastes dont il avait surpris le jeu à tous les étages de la société, qu’il coudoyait dans le carnaval mondain, mais dont il s’était toujours détourné en suivant son rêve de beauté.

Retombé de l’immensité du ciel dans la solitude de l’âme, il se trouva face à face avec le Mystère du mal, attaché comme un ulcère et comme un monstre dévorant aux flancs de la nature et de l’humanité. Ses carnets portent la trace de ce frisson. On y lit : « L’homme et les animaux sont un passage et un conduit de nourriture, des auberges de mort, des gaines de corruption,

  1. Les pensées de Léonard citées dans cette étude sont traduites d’un choix excellent, glané dans toutes ses œuvres : Frammenti litterari e filosofici trascelti dal Dr Edmondo Solmi, Florence (Barbera), 1900.