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[1]. — C’était le mal analysé dans l’homme. — Maintenant, après ses méditations émouvantes, dans son atelier du cloître San Ambrogio, son regard plongea soudain dans le passé antédiluvien de l’humanité, dans sa tradition mythique et religieuse. Descendu dans ce limbe obscur, il eut la sensation de saisir les puissances pernicieuses dans l’antre ténébreux où elles avaient été couvées. Alors, par une sorte de vision synthétique, le mystère du Mal lui apparut sous la triple forme du Serpent, du (Dragon et de la Méduse. Ces êtres, à la fois fantastiques et réels, remplis d’une vie intense, le hantèrent jusqu’à l’obsession, jusqu’à la terreur. Mais il se jura de les vaincre, en les comprenant à fond et en les exprimant par l’art.

Si les animaux les plus remarquables de la faune terrestre les plus représentatifs de l’évolution créatrice, le Taureau, le Lion et l’Aigle, ont un sens ésotérique dans les traditions religieuses et symbolisent certaines forces spirituelles du Kosmos, le serpent y joue un rôle d’opposition et de contrebande, mais un rôle aussi indispensable qu’important. Il est à la fois un être inférieur, par sa démarche rampante, et supérieur par l’intelligence dont il fait preuve. Son mouvement ondulatoire suggère l’idée de la pénétration dans toutes les fissures, et la morsure venimeuse, par laquelle il se défend contre ses ennemis, éveille l’idée du mal. Cela n’empêche que les Indous et les Egyptiens, avec tous les anciens peuples, représentaient la vie éternelle par un serpent qui se mord la queue. Il connaît toutes les cachettes et s’insinue partout. C’est pour cela sans doute que les religions orientales y virent le symbole du feu primitif et du fluide astral qui enveloppe la terre. Le serpent joue son rôle dans la théogonie grecque. Car, selon Hésiode, beaucoup de Titans foudroyés par Jupiter affectaient la forme de serpents gigantesques. Dans la Bible, c’est sous la forme du serpent que Satan induit Eve à cueillir le fruit de l’arbre de la science qui donne la connaissance du Bien et du Mal. Enfin, d’après une légende, lors de la chute de Lucifer, une foule d’esprits, qui brûlaient de prendre un corps vivant, s’incarnèrent sur la terre sous forme de serpents. Dans ces traditions mythiques, le serpent représente le désir intense de la vie physique, le besoin impérieux de l’incarnation, la soif des sensations

  1. Eugène Müntz en a reproduit un certain nombre dans son volume sur Léonard de Vinci (Hachette, 1899).