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suivait la voix de la pure et simple raison, pour se livrer totalement à cette Vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le Soleil éclaire tous les corps [1]. » De mauvais esprits pouvaient tout de suite interroger : Mais alors à quoi bon le Christ ? et malignement conclure que, de l’aveu de M. de Fénelon et du banneret, son converti, le Verbe eût pu se dispenser de s’incarner. Et précisément certains théologiens, M. de Meaux tout le premier, avaient accusé la mystique guyonienne de ne s’occuper pour ainsi dire point de la personne du Rédempteur. Tout cela paraissait s’accorder, s’enchaîner : l’imprésario de Fénelon et ses adversaires théologiques de jadis semblaient d’accord pour attirer sur lui les complaisances des déistes.

Le commentaire que donnait Ramsay, dans son Essai sur le gouvernement civil, d’un autre passage du Télémaque, offrait à ces complaisances un nouvel appât. Mentor, sermonnant Idoménée sur ses devoirs, lui disait en termes étudiés : « La religion vient des dieux, elle est au-dessus des rois. Si les rois se mêlent de la religion, au lieu de la protéger, ils la mettront en servitude... Pourquoi vous mêleriez-vous des choses sacrées ! Laissez-en la décision à ceux qui sont inspirés pour être les interprètes des dieux ; employez seulement votre autorité à étouffer ces disputes dès leur naissance... Contentez-vous d’appuyer la décision quand elle sera faite... Bornez-vous à réprimer ceux qui n’obéiraient pas au jugement des amis des dieux quand il aura été prononcé. » Il y avait là, pour le pouvoir civil, tout un programme de politique religieuse, qui s’accordait avec l’autre programme tracé pour le duc de Bourgogne dans les Tables de Chaulnes. Reprenons un instant la série d’événements religieux auxquels fut mêlé Fénelon, et, dans ce cadre, appliquons ce programme : Louis XIV se trouvera gêné pour importuner le Saint-Siège au sujet du quiétisme des Maximes et pour insister sur l’urgence d’une condamnation ; mais Fénelon, lui, ne sera nullement gêné pour accepter, en sa jeunesse, la direction des Nouvelles converties et le poste de missionnaire parmi les protestants de Saintonge,

  1. Discours de la poésie épique, en tête de l’édition de 1717 des Avantures (sic) de Télémaque, I, p. XXIV-XXV. Voir sur ce livre de Ramsay les commentaires de M. Ernest Seillière dans son livre : Le péril mystique dans l’inspiration des démocraties contemporaines, pp. 88-90 (Paris, 1918).