Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/930

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit un jour : « La poésie doit être la fille obéissante de la musique. » Gluck avant lui, Wagner après, ont dit juste le contraire. Mais ni l’un ni les deux autres, chacun des trois à sa manière, n’ont toujours fait exactement comme ils avaient dit. Chez Gluck, chez Wagner même, il arrive que la musique l’emporte, et Mozart, de son côté, se défend de lui rien sacrifier. Rien, à commencer par « la poésie, » ou les paroles. Mais pour s’en convaincre, si par hasard on en doute encore, c’est avec ou sur les paroles originales, tantôt italiennes, tantôt allemandes, qu’il faut entendre ou lire la musique de Mozart. Alors, mais alors seulement apparaît cette union, cette unité verbale et sonore qu’ont dissoute ou rompue à l’envi tant de traductions traîtresses. « Ah ! taci, ingiusto core, » soupire à son balcon donna EIvire éplorée. et cela devient en français : « Nuit fraiche, nuit sereine. » Dans Don Juan toujours, quelque chose comme : « Voici l’heure ! » a remplacé parfois la simple et terrible apostrophe du convive de pierre appelant par son nom « don Giovanni. » Avec les Noces de Figaro, l’on a pris naguère de pareilles ou de pires licences. Dans le célèbre et délicieux duo de la dictée (la comtesse et Suzanne), on ne craignit pas alors de changer non seulement le texte, mais la situation même, et jusqu’à l’une des deux interlocutrices. Suzanne céda sa place à Chérubin. Nous sommes devenus plus respectueux. Mais en dépit de nos soins, d’un idiome ou d’un mot à l’autre, il n’y a pas, il ne saurait y avoir d’équivalence parfaite, qui nous permette d’estimer à son prix, hors du texte original, ce qu’on appellerait volontiers, n’était le barbarisme, la « verbalité » de la musique de Mozart. Partout sensible, elle est admirable partout et jusque dans le moindre détail.


Crudel, perche fin’ ora
Farmi languir cosi !


Ainsi débute le duo du comte avec Suzanne. Et sur ces deux notes qui montent, sur cette tierce mineure, si langoureuse en effet. on ne saurait imaginer, que dis-je ? on ne sait plus entendre, l’ayant une fois entendu, un autre mot que le tendre, l’amoureux « languir » italien. Ailleurs, quand Figaro, narquois, énumère à Chérubin, qui « s’en va-t-en guerre » tous les galants atours qu’d lui faudra quitter : « quei pennachini, quel cappello, quella chioma, ces plumes, ce chapeau cette chevelure, » un orchestre ondoyant, des gammes souples et retombantes, des trilles pareils à des boucles sonores, accompagnent tout ce gracieux parler d’Italie, auquel on dirait que cette musique elle-même ressemble. Ailleurs, partout ailleurs (duo de la dictée, air