Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autrefois. Derrière le ruban d’eau qui reliait entre elles ces trois villes sœurs, resserrées entre lui et les dunes, s’étendait sur un petit nombre de kilomètres carrés le royaume de Belgique tel que l’avait fait l’invasion.

Et pourtant, qu’il eût été beau encore, sans le voile de deuil qui dissimulait ses charmes aux yeux des héros chargés de sa défense ! C’est cette riche et grasse terre de Flandre, verte comme l’Irlande et féconde comme la Lombardie, dont on ne saurait dire au juste si elle est la mère ou la fille du peuple qui l’habite, tant la main de l’homme s’est associée à celle de la nature pour en faire le séjour digne d’un peuple libre et heureux. Tout y évoque l’idée de l’activité humaine : les ruisseaux qui flânent paresseusement dans les campagnes ont conscience de servir à fertiliser le sol ; les canaux bordés du saules filent en ligne droite vers quelque rendez-vous du travail ; les clochers piquent le ciel, parfois inclinés sur un sol qui affecte de vouloir se dérober à la tyrannie de l’homme ; les toits rouges des fermes s’enlèvent vivement sur le fond vert des prairies ; d’innombrables vaches pâturent au loin dans les campagnes, ou, couchées dans les herbages, contemplent « de leurs yeux languissants et superbes » ces paysages bucoliques, dignes de tenter la lyre de quelque nouveau Virgile. Et pardessus le tout, dans une atmosphère éternellement humide que visite l’haleine saline de l’Océan, flotte une lumière de rêve qui se réfracte à chaque instant en auréoles magiques et produit les jeux les plus inattendus et les plus variés de la couleur. La race qui peuple ce pays de l’idylle, c’est, par un étrange contraste, la race tragique et farouche des Kovels du XIVe siècle, que les chevaliers français crurent à plusieurs reprises avoir exterminée sur les champs de bataille, mais qui, semblables aux héros de l’épopée islandaise, renaissaient sans cesse pour reprendre sans relâche les mêmes combats. Furnes, sa capitale, a un trésor de souvenirs où les luttes ardentes du moyen âge s’évoquent parmi les travaux pacifiques de la Belgique moderne. C’est Furnes qui la première a souhaité la bienvenue à Léopold Ier sur la terre de Belgique, lorsque, débarqué à Calais, il entra chez nous par le chemin du rivage pour prendre possession de son royaume aux acclamations délirantes d’un peuple ivre de joie. Combien de fois ce souvenir aura visité la pensée de son royal petit-fils, lorsque, le visage fouetté par le