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jour. En faisant perdre à l’envahisseur une semaine devant les forts de Liège, nous avons donné à la France et à l’Angleterre le temps de s’organiser et de se concentrer pour une lutte dans laquelle une heure de gagnée pouvait être décisive pour la destinée du monde.

Nous n’avons tiré l’épée que pour la défense de nos biens les plus sacrés : notre honneur national, notre liberté, nos foyers. Nos mains sont restées pures ; nous n’avons pas versé le sang innocent ; nous n’avons pas porté la mort et la dévastation chez les autres peuples ; aucune larme n’aura coulé à cause de nous. Et l’incorruptible jugement de la postérité, qui remettra toutes choses en leur place, dira que la Belgique s’est acquis, à l’une des heures les plus calamiteuses de son histoire, de nouveaux titres au respect de l’humanité.


VI. — L’ALLEMAGNE EMPOISONNEE PAR LA PRUSSE

Après avoir raconté la lugubre histoire de ma patrie pendant des mois d’indicibles souffrances, je me recueille et je me demande comment il est possible qu’une des nations les plus civilisées du monde, et qui avait d’ailleurs vis-à-vis de nous des obligations sacrées, ait consenti à martyriser avec cette cruauté un peuple inoffensif et ami. Il y a là, après tous les progrès que semblait avoir réalisés le droit international, après les conventions de la Haye, après les déclarations pacifiques de tous les grands États, une espèce d’énigme devant laquelle l’esprit s’arrête avec stupeur.

En réalité, l’énigme n’existe pas pour qui connaît les choses d’outre-Rhin. Le génie allemand a été empoisonné par l’esprit prussien, et c’est dans l’esprit prussien que se trouve l’explication claire et lumineuse des phénomènes qui paraissent à première vue inexplicables.

Les nations, comme les individus, subissent la fatalité du péché originel. Née d’une apostasie qui a profané l’idéal religieux et militaire des chevaliers teutoniques, la Prusse n’a jamais démenti ses origines frauduleuses et larrones. D’Albert de Brandebourg à Frédéric II, de Frédéric II à Bismarck, de Bismarck à l’attentat du 2 août 1914, c’est toujours par la violation des droits les plus sacrés, par le parjure et par l’iniquité qu’elle est arrivée à ses fins. C’est ainsi qu’a été sécularisée la