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pu à la fois préparer un plan d’irrigation pour la plaine lombarde, poursuivre ses études sur l’aviation, la géologie et la lumière, travailler aux cathédrales de Milan et de Pavie, élever devant le castel du prince, en un modèle de terre, le colosse équestre de François Sforza, peindre l’incomparable fresque de Sainte-Marie des Grâces, caresser savamment maints tableaux à l’huile, madones, portraits de princes et de grandes dames. Avec cela Mammon, le prince subtil de ce monde, auquel le chercheur infatigable s’était non pas vendu, mais lié d’un pacte temporaire, lui avait permis de réaliser quelques-uns de ses rêves dans la mouvante fantasmagorie de la vie. Car c’était lui, Léonard, l’ordonnateur des fêtes rutilantes, où la mythologie grecque ressuscitait dans les jardins du castel en cortèges carnavalesques, au son des flûtes et des cithares. Les Visconti, fondateurs du duché de Milan, avaient [iris pour écusson un soleil qui darde des flèches et des vipères à travers des nuées d’or et de roses. Leurs successeurs, les Sforza, adoptèrent cette devise qui symbolise exactement l’esprit des condottieri de la Renaissance : la gloire faisant rayonner la volupté à travers la force et la ruse. Léonard avait réussi pendant quelques années à faire rayonner le soleil de la science et de la beauté à travers ce blason splendide et cruel. Mais l’expérience était dangereuse et le miracle ne pouvait durer.

Si Ludovic le More était un Mécène intelligent, c’était un caractère faible et un médiocre politique. Placé entre le pape, la République de Venise et le roi de France, qui convoitaient son royaume, il crut pouvoir se sauver en les trompant tous les trois. Après lui avoir extorqué séparément son or, ses ennemis finirent par s’allier contre lui. En 1496, Ludovic le More appela Charles VIII en Italie en lui payant une forte somme. Abandonné par lui, il s’allia à Maximilien, empereur d’Allemagne, sur quoi Louis XII lui déclara la guerre. En 1499, les Français conduits par Trivulzio, l’ennemi personnel de Ludovic, envahirent la Lombardie.

Le duc de Milan s’enfuit au Tyrol, espérant de là reconquérir son royaume avec l’aide de Maximilien. Mais les mercenaires suisses le livrèrent au roi de France, et le plus riche, le plus brillant des princes d’Italie, mourut misérablement au château de Loches, après dix ans de captivité.

Un contemporain, Paul Jove, le juge ainsi : « Homme d’une