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comme beaucoup persistent encore à le croire[1]. Il y eut un fait de traîtrise, la chose n’est que trop certaine, dans ce dernier acte de son œuvre, mais un fait qui se déclare tout différent quant aux personnes, à la date et au lieu. C’est à Soissons que la vilenie se commet, quand le commandant de la place vend la ville à l’ennemi, barrant ainsi le passage aux forces groupées autour de Jeanne, qui essayent de traverser l’Aisne, par une dernière manœuvre à longue distance, pour aller prendre à revers la position bourguignonne de Choisy-au-Bac et rompre en ce point l’encerclement de Compiègne. Guichard Bournel était son nom : il agit pour de l’argent : on sait le chiffre de sa quittance[2]. Guillaume de Plavy, lui, ne fit pas rabaisser le pont-levis pour sauver Jeanne : l’affaire est entendue. Mais, s’il l’abandonna, ce fut pour sauver la ville. Sans lui, plus tard, Compiègne serait tombée, et que de choses avec Compiègne ! C’était un brave qui n’avait rien d’impur. S’il périt affreusement dans une tragédie domestique, dans son château de Nesle en Tardenois, assassiné par sa femme, l’amant de sa femme et son barbier, sa mort n’a rien à voir avec un châtiment céleste.

C’est à six heures du soir, le vingt-trois mai, que Jeanne d’Arc, venant de la ville, a franchi le pont de l’Oise, traversé la bastille qui lui sert d’ouvrage avancé sur l’autre berge, et débouché dans la prairie qui borde la rivière, par l’amorce de la route qui court vers Montdidier. La sortie a pour but de bousculer les assiégeants répartis dans les villages d’alentour : elle est dans l’ordre des choses. Le pont d’alors se trouve jeté un peu en aval de celui d’aujourd’hui. D’où les conclusions nécessaires à tout essai de compréhension rétrospective de ces lieux émouvants.

Le désastre s’est prononcé assez vite. On avait affaire a plus forte partie qu’on ne pensait. Il s’achève par le retour en désordre vers la bastille, devant laquelle à présent la retraite est menacée. Dans la prairie que ravine le canal béant du fossé, Jeanne connaît son sort, et se comprend perdue, devant ce pont-levis immobile qui ne redescend pas pour elle.

Le vit-elle se relever, sous le jeu progressif des contrepoids

  1. Son rôle a été déterminé dans l’excellent ouvrage de M. Pierre Champion, Guillaume de Flavy, capitaine de Compiègne.
  2. Félix Brun : Jeanne d’Arc et le capitaine de Soissons ; le Fait de Soissons.