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et des câbles, au milieu des cris, des appels, des blasphèmes enragés qui partent du dehors ? Quand le tablier décolla du sol, si elle dut suivre des yeux la coupure grandissante qui le séparait peu à peu du glacis, quelle lassitude lui brisa les membres, et quel fiel emplit sa bouche ! On peut la tenir pour morte, le jour de sa capture dans la prairie de Compiègne. Le pont-levis qui ne redescend pas l’emmure comme une dalle de sépulcre. Elle n’avait qu’un an à durer, disait-elle. Elle ne prédisait que trop juste. Le mois de mai, devant Orléans, avait marqué le début de ses merveilles. Le mois de mai suivant la voyait rayée par avance du nombre des vivants.

Du jour de son départ de Vaucouleurs, elle savait son destin. De l’heure de son exil volontaire à Burey, elle se sent vouée. Dès la minute effrayante où la Voix lui avait parlé, dans le jardin de son père, à la clarté de midi, elle a saisi qu’elle ne s’appartenait plus.

À cet instant-là, son immolation commence. La fin de son enfance, sa pure jeunesse, ne sont plus qu’une tragédie muette, une lutte héroïque et silencieuse. Ce qu’on peut appeler sa carrière triomphale se révèle comme une route accablante coupée de rares ombrages, avec, au firmament, la nuit, l’étoile du sacrifice pour guide.

Quelle autre a mérité mieux qu’elle ces mots de l’Écriture : « À qui dirai-je que vous ressemblez, ô fille de Jérusalem ? Où trouverai-je quelque chose d’égal à vos peines ? Et comment vous consolerai-je, ô Vierge fille de Sion ? Votre douleur est sans fond comme la mer. »


GERMAIN LEFÈVRE-PONTALIS.