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27 mai, parce que les Alliés ont rassemblé la majeure partie de leurs forces dans la région d’Amiens, qu’il leur faut rouvrir à tout prix, l’ennemi, déçu dans son espoir d’atteindre Amiens et de prendre sous son canon la vallée de la Somme jusqu’à la mer, change brusquement ses plans et renouvelle, cette fois contre les Français, son attaque brusquée du 21 mars. Par les mêmes procédés qu’au 21 mars, — emploi en masse des obus toxiques sur nos positions de batteries, bombardement intense de notre première ligne par les Minenwerfer, — il emporte en quelques heures le Chemin des Dames et Berry-au-Bac ; en quelques jours, il franchit l’Aisne, la Vesle, l’Ourcq ; il prend Soissons, il pousse jusqu’aux lisières de la forêt de Villers-Cotterets : à nouveau, il menace Paris.

L’Allemagne la perdra pourtant, la bataille qu’elle a voulue, la longue bataille d’infanterie. Elle la perdra parce que Clemenceau « fait la guerre, » et toute la nation française avec lui. Elle la perdra, parce que la Grande-Bretagne, appelant ses réserves insulaires, réussit à recompléter très vite, sur la base de l’ordre de bataille antérieur au 21 mars, ses unités éprouvées, et parce que la France, rivalisant d’énergie avec son alliée, s’est engagée envers elle à ne dissoudre aucune de ses divisions, ses divisions fussent-elles en lambeaux. Et l’Allemagne perdra la bataille parce que le général Foch, chargé depuis le 27 mars de coordonner l’action des armées alliés, les commande toutes depuis le 3 juin, et que le vainqueur de Fère-Champenoise et de l’Yser sait le grand art mystérieux de forcer la victoire.

Mais, puisqu’on ne s’applique en ces pages, qu’à décrire l’effort de notre infanterie, c’est une autre raison encore de la défaite allemande, entre tant de raisons, qu’il convient de mettre en un relief plus particulier : celle-ci, tandis que se déroule l’interminable bataille et à la faveur des longues pauses qui, d’avril à juin, séparèrent les offensives allemandes, un travail multiple se poursuit obscurément, ici, puis là, tantôt dans les petits états-majors et tantôt dans les grands, aux degrés les plus différents de la hiérarchie militaire, un travail d’abord épars et dispersé, puis plus cohérent, de réflexion, d’accoutumance, de critique de soi-même, qui, peu à peu, amènera tous les exécutants à comprendre en sa signification intime et à appliquer en son esprit comme en sa lettre la doctrine