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l’Académie navale ! Là où chacun était autorisé, sinon convié, à pénétrer, à déambuler, à jouir des gazons et des arbres comme dans son propre jardin, on ne passe plus. Bravo ! J’aurais volontiers embrassé l’excellent homme qui m’interdisait si catégoriquement l’accès de mon lieu favori. Du moins lui ai-je adressé un remerciement à la chaleur duquel il n’a dû rien comprendre. Jamais promeneur éconduit ne lui a sans doute montré un visage aussi reconnaissant.

Le contre-amiral Eberlé, « superintendant » de l’Ecole, est de nos amis. De stature moyenne, les traits fins, sa barbe grisonnante taillée en pointe, cet officier supérieur de la marine américaine pourrait, par ses manières comme par son physique, appartenir à la nôtre. Il s’est empressé, selon l’usage de son pays, de nous apporter ses souhaits de bienvenue, dès qu’il a su notre arrivée. En Amérique, on n’attend pas votre visite, on la devance. Je relate au commandant mon aventure des jours précédents et lui avoue la joie spéciale que j’en ai ressentie.

— En ce cas, me répond-il, je vais peut-être vous en causer une autre en vous annonçant que nous licencions dans une quinzaine, pour la mettre à la disposition de la Flotte, la classe de nos « middies » qui, normalement, ne devait sortir qu’en juin. La cérémonie de la distribution des diplômes est fixée au jeudi 19 de ce mois. Elle n’aura pas son éclat habituel, mais son caractère n’en sera que plus profond. J’aimerais que vous y assistiez. Ce sera quelque chose comme une veille des armes. Vous lirez, croyez-moi, dans les yeux de nos jeunes paladins de la mer une conscience de leurs responsabilités prochaines, qui vous fera plaisir. Eux, ils seront heureux et flattés d’avoir comme témoin.de leur départ pour l’inconnu un Français…

Et il ajoute à mi-voix, en me secouant la main :

— Un allié !

Nous avons été exacts au rendez-vous. D’ordinaire, cette remise des diplômes à la promotion sortante revêt l’ampleur d’un événement sensationnel qui ne passionne pas seulement le Maryland, mais toute l’Amérique. La semaine de juin où elle prend place est réputée comme une véritable « saison » annapolitaine. Les familles des sept ou huit cents élèves, l’essaim de leurs fiancées ou de leurs « douces » s’ébranlent vers la petite ville soudain affairée, — et ravie. Ses deux routes carrossables se couvrent d’automobiles, le service des tramways