Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est décuplé. On se loge où l’on peut, comme on peut, à l’hôtel, chez l’habitant ; des lits sont dressés jusque sous les vérandas. De midi à minuit, ce ne sont que receptions, dîners, bals. Le « yard » académique s’emplit du mouvement et du bruit d’une foire mondaine.

Ce matin, quand nous le traversons, il est presque désert. Nous errons quelques moments par ses bulles allées macadamisées, nettes et luisantes comme un pont de navire. L’air est vif, mais pur…Les premiers « robins » sautillent, cuirassés de rouge feu, dans l’herbe rajeunie des pelouses. Je fais mes dévotions accoutumées aux vieux canons de France, braqués devant la bibliothèque, en caressant leurs nobles contours de bronze vert où sont sculptés le flamboyant soleil de Louis XIV et sa devise : nec pluribus impar. A combien de générations de midshipmen leurs gueules en trou d’ombre n’ont-elles pas crié depuis la guerre de l’Indépendance :

— Nous avons tonné pour affranchir vos pères !

Je porte ensuite mes hommages à Té-cum-seh, le plus brave et le plus loyal des Sachems de l’Ouest, au dire des Américains, qu’il combattit jusqu’à sa mort, le seul de sa race proscrite dont ils donnent parfois le nom à leurs fils. Son buste géant s’érige, couronné de ses plumes de guerre, au centre du terre-plein par lequel on accède au bâtiment principal, après avoir, jadis, fendu l’espace à la proue d’une des frégates de l’Union, dans les âges désormais préhistoriques de la marine en bois. Il est devenu le fétiche de l’Ecole. Durant les périodes d’examens, les candidats l’invoquent comme leur divinité tutélaire. Les épreuves terminées, ils déposent en guise d’offrande sur son piédestal des « coppers, » de menus sous de cuivre américains, — généralement marqués d’une effigie indienne, — et mènent autour de son image une sarabande plus indienne encore, accompagnée d’une série de hurlements rituels dont les rah ! rah ! rah ! ne doivent pas être sans lui remémorer les plus sauvages accents de sa tribu.

L’horloge de l’Académie pique les quarts, comme à bord. Quatre coups de cloche nous apprennent qu’il est dix heures : au quatrième, une sonnerie de bugles retentit : c’est le signal. Nous nous rallions au groupe peu nombreux des invités, — des membres du clan maritime, pour la plupart, — et nous nous acheminons avec eux vers l’Arsenal, un des monuments dont