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d’ignorer la Douma. Affectant de considérer cette assemblée comme une chambrée de bavards dont l’agitation était sans réelle importance, il déclarait hautement qu’il ne lui ferait même pas l’honneur de la combattre et se contenterait d’agir comme si elle n’existait pas : il n’assistait jamais à ses séances et engageait les autres ministres à l’imiter et à s’y faire représenter par des sous-ordres. Déjà le Cabinet précédent avait commis la faute de ne préparer pour l’ouverture de la Douma aucun, ou presque aucun projet de loi ; (la Douma en se réunissant n’avait trouvé devant elle que deux demandes de crédit : l’une pour l’ouverture d’une école, et l’autre pour la construction d’une buanderie à l’Université de Yourieff). Non seulement M. Goremykine ne répara pas cette faute, mais il trouva habile de l’aggraver en s’abstenant systématiquement de présenter à la Douma d’autres projets de lois.

Les résultats ne tardèrent pas à se faire sentir : exaspérée par les dédains du Gouvernement, privée de toute matière à laquelle aurait pu s’appliquer son activité pratique, la Douma se lança dans une agitation à outrance qui prit la forme d’une série ininterrompue d’interpellations adressées aux ministres sur les sujets les plus divers. Ces interpellations, dont le nombre dépassa trois cents, donnaient lieu à des séances des plus mouvementées, au cours desquelles les députés se livraient à des attaques furieuses contre le Gouvernement : on interpella sur les condamnations capitales, sur l’activité provocatrice des agents de la police secrète, surtout sur les « pogroms » anti-Juifs, organisés, affirmait-on, par le Gouvernement lui-même, etc… Seul parmi tous les ministres M. Stolypine payait de sa personne dans ces occasions et tenait tête au tumulte, finissant par impressionner la Douma par son courage, par son calme et par la sincérité manifeste de ses réponses ; les autres ministres ne répondaient pas, ou répondaient par la voix de sous-ordres, ce qui exaspérait encore plus l’Assemblée : à plusieurs reprises, les représentants du Gouvernement durent quitter précipitamment la salle des séances poursuivis par les huées de l’Assemblée.

Le Gouvernement ayant négligé de préparer des projets de lois sur les principales questions qui devaient attirer l’attention de la Douma, force fut à celle-ci d’en prendre elle-même l’initiative : c’est ainsi que naquirent les projets les plus radicaux, en premier lieu ceux qui touchaient à la question agraire,