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faire nôtre l’innovation, rétablir l’équilibre entre les deux artilleries, répondre à l’écrasement par l’écrasement. Schématiquement résumée, la bataille de Verdun apparaît comme la lutte de deux volontés également armées, également obstinées : obstination du commandement allemand qui, « sans plus compter ses sacrifices, » pousse vers la forteresse ; obstination du commandement français, — Joffre, Pétain, Nivelle, — qui, tout en la défendant, ménage ses ressources en vue d’une autre bataille qu’il sait, offensive celle-là, qu’il prétend livrer un jour, ailleurs, au jour, au lieu que, dès le 18 février 1016, d’accord avec nos alliés britanniques, il a fixés. Pour l’heure, le souci du général Joffre et de ses lieutenants est de garder à notre effort devant Verdun son caractère purement défensif, de contenir l’adversaire sans nous épuiser nous-mêmes. « C’est le rail et la route, dit-on alors, qui mènent la bataille, » et notre part d’invention à Verdun réside en effet dans la promptitude du commandement français à reconnaître ce principe nouveau et à lui faire porter toutes ses conséquences ; elle réside dans l’ordre et le sang-froid qu’il déploie à organiser et à exploiter le réseau ferré et le réseau routier, à surveiller le système des relèves, à régler le mouvement de chaîne sans fin, la noria géante qui doit sans répit déverser devant Verdun et remporter les divisions après les divisions.

Ce furent là de grandes nouveautés ; elles ne concernent guère l’infanterie. Devant Verdun, l’infanterie française et l’infanterie allemande ont combattu tout comme en 1915, avec le même armement, selon la même tactique, et l’on ne peut guère noter que quelques innovations secondaires. Pour l’armement, du côté allemand, c’est l’emploi plus fréquent de l’atroce, lance-flammes[1] ; du côté français, afin de riposter à la redoutable grenade à manche de l’ennemi, c’est la mise en service de types de grenades très variés, trop variés peut-être. Pour la tactique, rien que de connu déjà, sauf que le fantassin français, faisant de nécessité vertu, inventa spontanément dans ces combats l’art d’utiliser les trous d’obus comme abris, puis comme nids de mitrailleuses et centres de résistance : procédés de fortune d’où Ludendorff saura bientôt tirer tout un système

  1. Le « Flammenwerfer » était apparu dès octobre 1914 : voir Les violations des loi de la guerre par l’Allemagne, publication faite par les soins du ministère des Affaires étrangères, Paris, 1915, p. 170.