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les Anglais les ont généreusement relevées sur près de cent cinquante kilomètres. Il en reste aux Français plus de sept cents à tenir. Or, tenir sans fléchir cette immense ligne saignante, c’est là le problème qui domine durant des années toute la politique de guerre de la France, — tandis que par surcroit elle combat aux Dardanelles, au Maroc, à Salonique. Notre exposé court, parce que la clarté l’exige, d’une grande date à une autre, d’une grande bataille à une autre ; mais, ce qu’il devrait bien plutôt représenter, ce sont les obscurs engagements de chaque jour, les alertes sans cesse renaissantes, la continuité de la pression ennemie. Au chemin de la croix de notre infanterie, comme sur l’autre Chemin de la croix, les stations illustres ne sont pas seules vénérables. Chaque pas l’est au même titre : ce qui est vénérable, c’est le cheminement lui-même, la longueur du temps, la persistance de l’effort. Comment la France a-t-elle suffi à une telle tâche ?

Le secret est simple : sa population masculine s’élevant tout au plus à dix-neuf millions d’hommes, y compris les vieillards, les enfants, les infirmes, elle a appelé sous les drapeaux, de 1914 à 1918, huit millions trois cent mille hommes[1]. De ces 8 300 000 hommes, plusieurs millions, je ne sais combien, ont été blessés ; 1 315000 ont été tués.[2]. Sur ces 1 315 000 soldats tombés à l’ennemi, combien de fantassins, — et des plus jeunes, et des plus vaillants[3].


Donc, aux champs de la Somme, le 1er juillet 1960, les Français, sur un front de quarante kilomètres, attaquent en

  1. Au 1er décembre 1917, le nombre des hommes ayant été mobilisés était de 8 059 000, nombre qui se décompose ainsi : continrent européen de la métropole et de l’Afrique du Nord, 7 575 000 hommes ; recrutement créole, 30 000 : indigènes de l’Afrique du Nord, 205 000 hommes : indigènes coloniaux, 249 000 hommes. En outre, la classe 1919 a été levée au commencement de 1919.
  2. Rappelons les chiffres qui ont été portés à la tribune de la Chambre des députés, le 27 décembre 1918, par M. Abrami, sous-secrétaire d’Etat à la Guerre. Décédés : 31 300 officiers, 1 040 000 hommes de troupes ; disparus : 3 000 officiers, 311 000 hommes de troupes. On sait que la distinction entre décédés et disparus ne représente guère, hélas ! qu’une précaution de l’Etat civil.
  3. Qu’il soit permis à un vieux normalien d’extraire de la statistique des élèves de l’Ecole normale supérieure morts pour la patrie les chiffres suivants : Les promotions le 1908 à 1914, ont fourni 320 soldats, dont environ 300 combattants, — presque tous sous lieutenants ou lieutenants d’infanterie. De ces 300, 140 sont morts, 85 ont été blessés.