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Grande fut leur surprise et leur déconvenue, grande en revanche de l’autre côté la confiance et la joie, quand il se répandit dans le pays que les Français arrivaient, qu’ils étaient là ! Certes, on ne peut trop rendre hommage à ces magnifiques Anglais qui depuis un mois subissaient stoïquement l’orage ; et recevaient tout le poids de la fureur allemande. Tombés de la tempête de mars dans la bourrasque d’avril, ils subissaient le grain comme un phénomène fatal et incompréhensible auquel il n’y a guère à opposer de résistance. Ils traversaient le sort hostile, le front haut, faisant tête, mais sans grand espoir, un peu comme le héros de l’admirable conte de Joseph Conrad, pris dans le typhon.

Les Français, dans cette atmosphère un peu découragée, apportaient un autre élément. Ils apparurent comme des sauveurs. Eux aussi venaient de la bataille, sans un jour de repos, on verra par quel prodige d’activité. Ils venaient d’en voir de dures, et s’apprêtaient sans transition à rentrer dans la bagarre, mais ils avaient, on ne sait comment, pris dans ces temps terribles un sentiment de victoire. Ils ne doutaient pas qu’une fois de plus ils allaient arranger les choses et tout remettre d’aplomb. J’étais sur place : j’ai vu le miracle. Dans ce printemps inquiet, sous ces nuages soucieux, dans l’anxiété singulière de la saison aigre et chagrine, la présence rassurante d’une poignée de nos gens mettait du bleu dans le pays. L’Anglais les accueillit en frères, se sentit secouru. A Cassel, les bataillons de chasseurs défilèrent au milieu des acclamations. Ces troupes rapportaient l’espérance. Dans les campagnes consternées, fuyantes et déjà inondées, où l’eau, suprême ressource des temps d’invasion, commençait de noyer les champs et où c’était depuis cinq jours la grande misère des exodes et des familles vagabondes charriant leurs pauvres bardes, leur détresse sur les routes, l’effet fut incroyable. Un paysan prêt à partir, son bœuf et son cheval attelés devant sa porte à sa charrette toute chargée, apprit que les Français arrivaient, attendit de les voir passer et, sans mot dire, détela.

Comment s’était opéré ce redressement magique qui en deux jours, entre le 12 et le 14 avril, réussissait, en pleine bataille de Picardie, à jeter cinq divisions françaises, dont tout un corps de cavalerie, à l’autre extrémité des lignes, soutenant comme à bras tendu l’armée anglaise exténuée ? Il y a là un