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La petite attaque projetée se fit vers onze heures du soir dans la nuit du 24 au 25 avril. Par un feldwebel fait prisonnier le matin même, on connaissait déjà la présence du Corps alpin sur le front de la division[1]. Un nouveau prisonnier fait au cours de la nuit ajouta qu’il se préparait une violente attaque par les gaz pour cinq heures du matin. Les précautions furent aussitôt prises, et le tir de contre-préparation déclenché sur-le-champ sur les lignes allemandes. Mais notre progression nocturne avait eu pour effet d’allonger nos barrages. L’attaque allemande allait nous assaillir sur des positions incertaines, mal reconnues et mal assises. La division, déjà en ligne depuis neuf jours, avait perdu un millier d’hommes et 25 officiers. Mais elle avait déjà repoussé deux assauts : le moral était magnifique.

A deux heures trente, le matin du 25, la préparation allemande commençait. C’était une préparation sur le type de Verdun, mais d’une puissance passant de loin les plus monstrueux écrasements de Thiaumont et de la cote 304. Tous les témoins s’accordent pour dire qu’ils n’avaient jamais vu une pareille densité et une si horrible concentration de feux. Ce qu’elle offrait de particulier, comme le prisonnier l’avait dit, c’était la proportion énorme d’obus toxiques. La nature de ces gaz n’était pas celle de l’ypérite, qui s’attache au sol et le rend inhabitable pour longtemps ; c’étaient des gaz nouveaux, à effet subit, passager, produisant une grande gêne de la respiration. une sensation soudaine d’accablement et de torpeur. C’est le système du cambrioleur qui sans tuer son ennemi le stupéfie par un narcotique. Cette vapeur sournoise s’abattait principalement sur la région des batteries, formant nappe sous les bois, dans les fonds de ravins ; les artilleurs durent travailler pendant des heures avec le masque. Vers trois heures, le feu roulant sembla redoubler de furie. Les obus tombent à raison d’une centaine à la minute. Vers cinq heures trente, une pluie de torpilles du plus gros calibre s’ajoute au fracas de l’artillerie et achève d’anéantir les malheureux groupes de combat de la première ligne. Au même instant, une rafale de mitrailleuses

  1. Le corps alpin, signalé à l’arrière le 16 avril, avait pris part à l’attaque du 17 (voir plus haut), mais sans avoir donné à fond. Il ne paraît avoir engagé qu’un ou deux bataillons du Leibregiment, et est mis au repos du 19 au 23 avril dans la région de Lille, quand les Allemands décident l’affaire du Kemmel.