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eurent vent des discussions qui avaient marqué l’introduction de Talleyrand dans le concert européen ; quand surtout d’inévitables indiscrétions leur eurent révélé la profondeur des dissentiments qui séparaient les Alliés de Chaumont. Dès le mois de septembre, c’était une opinion assez répandue dans les salons politiques que ceux-ci « feraient comme les pères du Concile de Nicée, qui décidèrent la question de la Trinité à coups de poing ; » ou en d’autres termes que cette assemblée de la paix aurait pour résultat immédiat une nouvelle guerre. Les plus optimistes prévoyaient qu’elle se séparerait très prochainement, après avoir constaté son impuissance à rien conclure : « Le Congrès n’est pas autre chose, déclarait un témoin, qu’un entr’acte dans la grande tragédie de l’histoire universelle, qu’un armistice dans le bellum omnium contra omnes. » C’est une mauvaise pièce dont l’auteur est sifflé, ajoutait crûment un confident de l’envoyé prussien, Humboldt. » Loin de se calmer en novembre, les inquiétudes publiques se trouvèrent entretenues par le mystère impénétrable qui entourait les séances des Huit et qui faisait dire à un plaisant : « Rien ne transpire. Ces messieurs ont honte de laisser voir qu’on ne fait rien. »

Au mécontentement causé par ces lenteurs s’ajoutaient des récriminations inspirées au public par le trouble croissant que la présence de tant d’illustres personnages apportait dans son existence matérielle. On se plaignait alors à Vienne, autant qu’à Paris un siècle plus tard, du renchérissement de la vie et des difficultés financières. L’argent jeté dans la circulation par des hôtes opulents et généreux faisait monter le prix de tous les objets de première nécessité. Les fêtes continuelles données en leur honneur entraînaient pour les dames des frais de toilette dont elles se plaignaient moins vivement encore que leurs maris. Pour couvrir enfin les frais de la somptueuse hospitalité qu’elle offrait aux souverains et à leurs ministres, la Cour avait dû recourir, soit à une contribution qu’on appelait ironiquement Burgeinquartierungssteuer (Impôt du casernement au Palais impérial), soit à une émission nouvelle, ajoutée à tant d’autres, de 500 millions de papier-monnaie, et dont tous ressentaient les inconvénients.

En décembre, la nécessité apparut à tous d’aboutir enfin, en liquidant les questions de Saxe et de Pologne, les plus