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hésiter entre les provinces saxonnes et les provinces rhénanes : les unes voisines du cœur de la monarchie, dont elles auraient porté la frontière jusqu’à la limite naturelle des Monts de Bohème ; les autres séparées de la capitale par une longue distance comme par une solution de continuité, difficiles à défendre en raison de leur éloignement et de leur situation excentrique ; les premières, protestantes de religion, purement allemandes de race et d’esprit ; les secondes, catholiques, voisines de la France, pénétrées par son influence comme par les souvenirs de sa domination et par cela même plus difficiles à assimiler ? On s’explique donc que l’annexion en ait eu pour partisans principaux les plénipotentiaires anglais, désireux par-dessus tout de confier à une Puissance militaire la garde d’une solide barrière stratégique contre la France.

Si on n’avait accepté à Berlin cette solution que comme un pis-aller, n’était-elle pas également contraire à l’intérêt de notre pays, et Talleyrand, en repoussant la combinaison qu’avaient voulu y substituer à la dernière heure les ministres prussiens, n’a-t-il pas commis une faute destinée à peser pendant un siècle sur notre politique extérieure ? Ne valait-il pas mieux en effet placer entre la Sarre et le Rhin, à quelques marches de notre capitale, un petit État qu’un grand, un souverain nécessairement inoffensif qu’une Puissance de premier ordre, qui servait alors d’avant-garde à l’Europe ? Ne valait-il pas mieux la Prusse sur les flancs de la Bohème, dans une situation qui aurait accru sa rivalité avec l’Autriche, que sur les frontières de la France ? Telle est la question dont le débat a longtemps divisé les divers historiens du Congrès. La lumière qu’y projettent les événements actuels semble permettre de la résoudre définitivement dans un sens favorable à Talleyrand. Il a pu prêter à la critique par le retard et l’insuffisance des informations qu’il a transmises à Louis XVIII sur les propositions prussiennes ; il n’a pas manqué de prévoyance en les repoussant. Consentir au transfert forcé du roi de Saxe sur le Rhin, c’était d’abord pour lui renoncer au bénéfice de ce principe de légitimité à la défense duquel il devait toute l’autorité morale si péniblement acquise au Congrès. Satisfaire les convoitises de la Prusse dans l’Allemagne centrale, c’était en former une monarchie compacte, au lieu d’un État coupé en deux tronçons, dont Voltaire comparait plaisamment la forme