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l’invraisemblance est continue : quels organismes humains ont jamais suffi à des aventures comme celles des quatre amis chevauchant à la poursuite des ferrets de diamants dont l’absence perdrait la Reine ? Pas de paysage ; pas de descriptions. Et c’est une merveille de récit. C’est un magnifique roman. » Si d’ailleurs vous préférez Bouvard et Pécuchet, peut-être n’avez-vous pas tort : ou bien, si vous avez tort, continuez ! Toujours est-il que, le roman, « c’est d’abord une histoire contée » et que « le don de s’imposer à l’imagination par l’imagination est proprement celui du conteur. » Le romancier ne serait donc qu’un « amuseur ? » Eh ! c’est déjà très joli ; et, si vous refusez l’honnête amusement d’un conte aimable et qui n’essaye que de vous plaire, vous avez trop d’orgueil ou d’autres divertissements.

Il n’y aurait pas beaucoup à chercher, et il n’y faudrait pas de malice, pour trouver dans l’œuvre de M. Paul Bourget, dans son œuvre de critique et de romancier, une idée assez différente de celle-là ; touchant la littérature et le roman : différente et, je ne dis pas, contradictoire. Quand il écrit à présent : « L’observation, l’analyse, la discussion d’idées s’y surajoutent… » à cette « histoire contée » qu’est le roman, « et donnent plus ou moins de valeur à cette histoire ; mais il faut qu’il y ait une histoire et il faut qu’elle soit contée ; » il indique la façon de résoudre l’apparente contradiction. Et il écrit aussi : « Le roman, non seulement ne se dénature pas, mais il s’enrichit, lorsque le conteur donne de la portée à son récit, pourvu encore une fois qu’il le maintienne dans le mouvement de la vie. » L’on peut réduire ces formules à n’être que de sages conseils : redoutez, ô romanciers, d’ennuyer votre lecteur ; l’observation, l’analyse et la doctrine, toutes seules, sans l’attrait d’une histoire bien contée, ne le tiendront pas en éveil. Mais l’auteur des Essais de psychologie contemporaine, dans l’étude qu’il fait de romanciers tels que Flaubert, Stendhal, Ivan Tourgueniev et les Goncourt, et l’auteur de Mensonges ou du Démon de midi ne semble pas admettre que « l’observation, l’analyse et la discussion des idées, » la doctrine même, ne soient, pour ainsi parler, que des ornements bons à « enrichir » une histoire. Quel est, en somme, le principal, ou bien l’histoire, ou bien les idées ? Selon vos goûts et votre choix, vous préférerez les Trois Mousquetaires ou Bouvard et Pécuchet.

Sous l’influence du positivisme et de la science appliquée à toutes choses, appliquée même à ce qui n’est pas son affaire, il s’est produit, dans le dernier tiers du siècle précédent, une vive réaction,