Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regardent. Après la nuit monstrueuse où l’U-51 coula le navire-hôpital, au petit jour Levinski se lève et monte sur la passerelle : « La mer était calme, paisible et comme innocente… » C’est ainsi que Levinski l’a vue : assurément von Hartig l’aurait vue d’autre façon, vide, sans proie, insignifiante. M. Bauër peint des âmes. Mais un romancier résolument psychologue, avec le thème de ce roman, nous eût offert une étude de l’âme allemande, de ses velléités plus récentes : M. Bauër ne s’est pas enfoncé dans ces abîmes. Il a inventé ses personnages ; il les a lancés vivement au péril de vivre : et, quand ils auraient eu l’air de languir, il leur a multiplié les occasions de s’animer. Il les animait aussi de son amitié, qu’il ne dit pas et qu’il donne à sentir. Il a de la sympathie pour Levinski ; pour Maria, un peu d’amour. Son imagination fait le roman : sa tendresse en est la chaleur intime. Sa tendresse le retarderait, son imagination l’amuse ; mais il va très vite et, avec une discrétion très élégante, il vous échappe ou serait sur le point de vous échapper : vous le suivez pourtant. Il est habile et feint de ne pas l’être. Son extrême rapidité a, l’on ne sait comment, les grâces de la nonchalance.

L’imagination de M. Pierre Benoit, c’est une joie exubérante et qui, l’on ne sait comment, ne paraît pas déraisonnable. Dans chacun de ses deux romans, il y a plus d’incidents que n’en subissent les héros de vingt épopées. Quelle abondance ! Il y a des amours, des meurtres et des rencontres comme les hasards ne sont pas, ordinairement, assez futés pour en produire. Il y a de l’invraisemblance, mais si agréable qu’au lieu de vous choquer elle vous enchante. Et vous ne dites pas que c’est impossible ; vous ne dites rien : vous êtes content. Vous attendez, avec une impatience qui sera bientôt satisfaite. On vous ménage des surprises, et qui passent toute espérance.

« Ces vieux châteaux de la Saxe galante et du Hanovre électoral, ces gothiques palais, mornes et silencieux au dehors, féeriques au dedans, avec leurs lambris d’or massif, leurs tentures de brocart, leurs lourdes portières de tapisseries, quel étrange et fantastique spectacle ne deviennent-ils pas pour nous ? La tragédie s’y confond avec la pastorale ; à chaque porte heurte l’intrigue ; le long des corridors à demi éclairés, l’amour mène sa sarabande… » Cela se lisait dans la Revue des Deux Mondes il y a plus de soixante ans, sous la signature de Blaze de Bury, lequel racontait l’histoire de Kœnigsmark et de Sophie Dorothée. Le roman de M. Pierre Benoit s’appelle Kœnigsmark ; et il raconte l’histoire de ce beau Scandinave, mais en