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aussi dans ces précieuses alcôves ménagées sur un côté du jardin, et où le maître du logis venait avec ses femmes prendre le thé, écouter de la musique, regarder passer la lune entre les fuseaux des cyprès.

Tout fait ici de l’harmonie : la géométrie et le désordre, l’abandon et l’artifice où l’émail et la fleur peinte se mêlent à la vivante, cette nature presque rustique et cette élégance fardée, cette solitude et ce silence qu’anime au croisement des allées, comme le maître d’orchestre de ce concert diapré, un jet d’eau sous un jasmin. Voici la poésie, voici l’art, voici le signe de toute belle chose : une volonté, une règle, un espace de tous côtés circonscrit, et dans ces bornes étroites un infini de liberté.

Qu’il est donc malaisé de peindre avec justesse ces beautés de l’Orient ! On dit : les choses sont ainsi ; il y a là une allée, des orangers et des cyprès, il y a là un jet d’eau, une vasque de marbre, une étoile de zelliges ; et, quand on a dit tout cela et situé exactement chaque objet, l’oranger n’a plus le parfum, le cyprès ne s’incline plus avec sa grâce adolescente, les oiseaux se sont tus, les mille étoiles du jasmin ont disparu dans le feuillage, et les grandes portes paradisiaques ont refermé avec effroi leurs vantaux d’or et de carmin sur les chambres de silence et d’ombre qui font penser à des auberges où ne descendraient que des rêves… A inventorier ces beautés si familièrement charmantes, si peu étonnées d’être là, si peu surprises de faire ensemble leur concert silencieux, plein de notes divines, si maniéré et si modeste à la fois, on a l’air d’un pédagogue qui cherche à découvrir, sous la lampe, ce qui fait le charme de quatre vers aériens d’un poète de la Perse.

Et comment les mots de chez nous ne s’égareraient-ils pas en parlant des choses d’ici ! Ici toute pompe est familière, toute grandeur coquette, toute beauté un peu mièvre. Avec cela, le naturel a toujours de la dignité, l’abandon n’est jamais vulgaire. Ce qui chez nous jure d’être ensemble, se trouve ici tout naturellement accordé. La grande cour, dallée de marbres blancs et verts, s’entoure d’une galerie de bois d’un bleu déteint, passé, d’une rusticité presque pauvre. De hautes et frêles graminées poussent sur les toits de tuiles vertes qui couvrent les pièces enchantées. L’eau s’échappe des vasques, ruisselle, et baigne le marbre majestueux. D’innombrables pigeons vont et viennent sur les dalles chauffées au soleil, et dans ce silence