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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/839

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de son âge, le plus propre à plaire aux yeux du monde… »

Or sans doute, à cette réussite que ses dons avenants lui valent il ne fait pas grise mine. Tout en « s’attachant solidement à l’état ecclésiastique » et à acquérir en conscience « la piété, la douceur, » les qualités professionnelles, il se laisse choyer. Et cette satisfaction innocemment amusée, teindra aussi son mysticisme. Janséniste de raison chrétienne, il pourra l’être ; janséniste d’âme, il ne le sera point. Il ne craindra pas le « siècle » comme un monstre. Il ne se dira pas tout le temps à lui-même, comme son contemporain, Armand du Camout de Coislin (l’abbé de Pontchâteau) : « Fuje ! lace ! quiesce ! Fuis l’ennemi ! tais-toi ! tiens-toi coi ! » Il ne fixera pas sur les murs de sa chambrette les images dont l’ardent port-royaliste blindait intérieurement sa cellule : par exemple, « d’un saint Jérôme pensif, avec ces paroles : « Solus sedebam, quia comminatione replesti me : Je me suis retiré dans la solitude parce que vous m’avez rempli, Seigneur, de la terreur de vos menaces. » Le siècle ennemi, il le regardera en face, il le hantera sans peur et sans remords. Il concevra, au moins dans ses débuts, comme possible dans le christianisme la vie heureuse et son sourire. À l’intense et essentielle méditation de la brièveté de nos jours et de la fragilité de nos bonheurs, il joindra tout de suite une sorte d’endémonisme chrétien, et la conception d’un Dieu bon, qui n’a pas fait le monde pour qu’on en sorte, qui permet à la piété et à la vertu l’accueil et la satisfaction de ce désir d’être heureux, planté par lui au cœur de l’homme. Pour avoir de bonne heure connu le monde, il ne le croira pas incompatible avec le salut.

De là encore, — car il n’est pas oiseux de s’attarder à dégager ces essentielles semences, — de là ce tour spécial de la conduite de vie de Bossuet et le premier pli d’une « souplesse » qui lui a été tant reprochée par des inflexibles altiers. S’il n’a pas eu d’ « os, » comme l’en accusaient les Tréville et les Arnauld, je n’en sais rien, et sa correspondance nous donnera, je crois, l’occasion d’en appeler de cette rigueur Mais ce qu’il apprit sans doute très tôt, — et faut-il l’en blâmer ? — c’est à n’avoir pas d’ongles, ce qui est très différent, ni de pointes, ni d’inutiles résistances et d’intransigeances irritées et irritantes. Dès vingt ans, il vit le « grand monde » et ses