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discipline sur les noirs eût donné avec le temps une troupe égale à d’autres. Mais, à peine arrivés à Marseille, dégrossis au camp de Carpiagne, les Sénégalais du « régiment Lavenir, » — nom de leur premier colonel qui leur resta, — étaient, sous la poussée des événements, jetés en pleine fournaise, en Champagne. La guerre se chargea d’y séparer le bon grain de l’ivraie. A une autre troupe voisine, quelque peu hésitante, le capitaine Poupart, tué glorieusement depuis, pouvait véridiquement s’écrier : « Allons ! les gars ! encore un effort ! Tenez ! Voyez les camarades noirs tenir ! » Oui, mais d’autres, noirs aussi, qui débutaient là dans le métier des armes, tenaient moins bien que leurs anciens. S’enfuirent-ils ? Point. Tourbillonnant seulement sous la mitraille, pelotonnés en petits paquets, ils formèrent peu à peu une masse hébétée, inerte, sourde aux commandements, incapable d’agir n’importe en quel sens, avance ou retraite : mentalité passive de foule. En l’état, ils étaient inutilisables. Toutefois, ce ne fut que pour un temps. Très rapidement, l’accoutumance leur vint des grosses marmites qui font, en définitive, plus de bruit que de mal et des balles qui chantent quand elles ne frappent point. La guerre leur donna ses leçons les plus profitables, celles qui se prennent au son du canon. À cette école, les progrès vont vite. Les leurs, il faut croire, étaient confirmés, puisque, le 24 octobre, mis en camions automobiles, ils étaient transportés en toute hâte près d’Arras, à la Maison-Blanche, où ils débarquaient le 25, à la chute du jour. Entre la capitale de l’Artois et les Allemands, plus rien d’autre que des tranchées vides. Dans la hâte et la nuit, pas de reconnaissance possible d’un terrain qu’il fallait, sur toute chose, occuper. Gagnant vers l’ennemi d’une parallèle à l’autre, puis en pleins champs, tant qu’on trouva place nette, on avança, un bataillon en réserve, deux en ligne. Une meule flambait à l’horizon. Sous l’hypnose de cet unique point rougeoyant, mécaniquement les hommes se resserraient, se tassant dans le rang. Soudain, un fulgurant éclair : à bonne portée, une mousquetade infernale, fusils, mitraille et mitrailleuses, dessina le zigzag de la tranchée allemande. Quand il s’éteignit, une jonchée de noirs gisait à terre : la surprise avait duré quelques secondes. A côté, quelques « jeunes, » effarés, se couchèrent. Mais la charge, commandée sur-le-champ, enleva la majeure partie des survivants, les jetant sur l’ennemi. Le flot vint, sans