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deux races et deux civilisations. L’une, attelée docilement au char du maître, s’enorgueillissait de sa servitude : l’autre, cabrée, a rejeté son frein et brisé son joug. C’est comme l’annonce et la préfiguration d’un désastre dont la menace est dans l’air.

« Le miracle de Salamine, » ainsi pourrait s’intituler l’immortel récit que débite le messager et qui vaut les plus belles narrations historiques. L’idée même en est de faire ressortir ce quelque chose de supérieur au nombre, à la puissance du matériel, aux combinaisons même de la stratégie, qui est : le « miracle. » « Un dieu déployant ses vengeances, quelque fatal génie fondant sur nous, voilà quelle a été la cause première du désastre. » La supériorité numérique était du côté des barbares, et combien écrasante ! « Mais un dieu a mis le poids de nos destins et des leurs sur une balance inégale et c’est ainsi que notre armée a dû périr. » Le poète n’entend pas diminuer par là le mérite de ceux que, soldat, il a vus à l’œuvre. Il a pu mesurer ce que la patrie doit à la science des chefs et à la valeur des combattants : est-ce une raison pour méconnaître cet autre facteur, impondérable et mystique, dont les plus grands capitaines savent que la victoire ne peut se passer ? Que n’a-t-on pas dit chez nous contre ce terme de « miracle de la Marne, » jailli spontanément de la conscience nationale dans l’effusion de notre reconnaissance ? On a prétendu qu’il était injurieux pour nos généraux et nos soldats. C’était, disait-on, une manière de les dépouiller de la gloire qui leur revenait, en attribuant à une intervention surnaturelle un succès dû aux causes les plus naturelles, et qui sont : l’excellence de nos méthodes1 de guerre et le moral de nos troupes. Ceux qui raisonnaient ainsi, le faisaient dans la meilleure intention, soucieux uniquement de rendre à notre admirable armée toute la justice qui lui est due. Mais ils prouvaient par-là qu’ils n’étaient très familiers ni avec l’idée de miracle, ni même avec l’idée de victoire. Ce n’est porter atteinte au mérite de personne, de constater qu’il y a une « partie divine » de la guerre. Napoléon le savait et les Grecs avant lui. Et Xerxès allait l’apprendre à ses dépens, ayant eu soin de tout disposer pour ne rien perdre du spectacle de sa propre débâcle. « Il s’était assis en un lieu d’où l’armée tout entière se découvrait à sa vue : c’était une colline élevée, non loin du rivage de la mer, » Guillaume à sa tour monte

L’Ombre de Darius ne sort du tombeau que pour préciser le sens de l’événement. Nous sommes habitués à rencontrer dans la poésie antique, — nous les avons vues dans Homère et nous les