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à tour de rôle ; ces conférences duraient quelquefois jusqu’à une heure très avancée de la nuit, et je garde un vivant souvenir de mes courses rapides à travers les îles par les belles nuits claires de juillet. Après une de ces conférences à laquelle il avait pris part, M. Milioukoff, — il ne peut l’avoir oublié, — se trouva sans voiture pour rentrer en ville et accepta l’offre que je lui fis d’une place dans la mienne ; il faisait déjà presque jour, nous étions en victoria découverte et tout le long du chemin nous croisions d’autres voitures revenant des nombreux lieux de plaisir situés dans les mêmes parages. Soudain je me rendis compte de l’impression bizarre que pouvait produire la vue du ministre des Affaires Etrangères roulant en voiture vers quatre heures du matin avec le chef d’un parti considéré non seulement comme un parti d’opposition, mais comme ouvertement révolutionnaire. J’en fis la remarque à mon compagnon. Il me répondit que la même idée lui était venue et que nous risquions en effet tous les deux d’être gravement compromis, moi aux yeux des conservateurs, et lui à ceux de l’opposition ; nous prîmes le parti de rire de bon cœur de la situation. Cet incident n’eut d’ailleurs pas de suites fâcheuses : aucun des brillants officiers ou des jeunes diplomates étrangers avec lesquels j’échangeai des coups de chapeau, ne reconnut M. Milioukoff.

On sait que la tentative de former un Cabinet de coalition subit un échec complet ; après une quinzaine d’entrevues, et en dépit de tous les efforts déployés par M. Stolypine, les différents personnages auxquels il avait eu recours se récusèrent les uns après les autres. De même que le comte Witte, l’année précédente, M. Stolypine se trouva acculé à l’impossibilité d’associer au Gouvernement des hommes politiques étrangers à la bureaucratie et au milieu de la Cour ; il se décida à ne pourvoir pour le moment que les deux postes rendus vacants par la retraite de M. Stichinsky et du prince Schirinsky-Schihmatof ; il fit appel pour ces postes au prince Bi)ris Wassiltchikoff qui devint ministre de l’Agriculture, et à mon frère, M, Pierre Iswolsky, qui fut nommé procureur général du Saint-Synode, c’est-à-dire ministre des Cultes. En fait, ni l’un ni l’autre n’appartenait à la bureaucratie : le prince Wassiltchikoff, gros propriétaire et maréchal de la Noblesse de Novgorod, était membre élu du Conseil de l’Empire ; il n’avait