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eu d’attaches avec le monde officiel qu’en qualité de vice-président de la Croix-Rouge, institution placée sous l’autorité directe de l’Impératrice douairière. Quant à mon frère, son milieu était celui de la noblesse provinciale : après de brillantes études universitaires, il s’était spécialisé dans les questions d’enseignement : il venait d’être appelé tout récemment aux fonctions d’adjoint du ministre de l’Instruction publique. Le prince Wassiltchikoff et mon frère passaient pour être des libéraux modérés de la nuance des Octobristes. Dans la pensée de M. Stolypine ces deux nominations ne devaient être que provisoires ; malgré l’échec qu’il avait subi et qui lui fut très pénible, il ne renonçait pas à son projet de former un Cabinet de coalition et se réservait d’y revenir plus tard, au moment de la réunion de la seconde Douma.

Quelles furent au juste les causes de l’échec de M. Stolypine ? Il pourrait sembler au premier abord que le principe même d’un Cabinet de coalition n’était pas viable et que notre erreur fut de nous obstiner à cette combinaison, au lieu d’adopter d’emblée l’idée d’un Cabinet purement cadet mise en avant, comme on le verra tout à l’heure, mirabile dictu, par le général Trépoff. J’ai souvent réfléchi depuis lors à cette alternative : mon opinion n’a pas changé. Je n’ai pas cessé de croire que nous étions, M. Stolypine et moi, dans le vrai. En effet, il ne faut pas oublier qu’à l’époque dont il s’agit, la seule condition d’un Cabinet présidé par M. Stolypine, avec adjonction d’éléments non bureaucratiques, paraissait une innovation dangereuse à l’Empereur qui n’y avait consenti qu’à grand’peine ; d’autre part, un pareil Cabinet marquait un grand pas en avant et ouvrait la voie à d’autres progrès dans le sens d’un gouvernement constitutionnel. Au contraire, en essayant de former immédiatement un Cabinet cadet, on était certain d’aller au-devant d’un conflit violent entre le Pouvoir suprême et le nouveau Gouvernement qui aurait commencé par exiger l’application intégrale du programme de son parti, c’est-à-dire des réformes radicales auxquelles l’Empereur n’aurait jamais consenti.

En refusant leur collaboration à M. Stolypine, les libéraux modérés comme le prince Lvoff, le comte Heyden et autres commirent encore une fois une lourde faute et montrèrent combien les partis politiques en Russie, encore à cette époque,