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bureau, contenait toutes les indications nécessaires à mon successeur éventuel pour entrer immédiatement en fonctions à ma place. Cette précaution fut d’ailleurs parfaitement superflue : en dépit des sinistres prédictions de la police secrète, je ne fus en butte à aucune attaque. Je faillis, cependant, être victime d’un attentat dirigé contre le grand-duc Nicolas, futur commandant en chef des armées russes en 1914. C’était en revenant de Tzarskoie Sélo, résidence d’hiver de la cour, où j’étais allé faire mon rapport hebdomadaire à l’Empereur. Le grand-duc Nicolas s’y était également rendu ce jour-là. L’Empereur ayant retenu le grand-duc à diner, je montai, pour rentrer en ville, dans le train spécial qui l’avait amené et qui retournait à vide. A l’entrée en gare de Saint-Pétersbourg, le train fut brusquement arrêté par le mécanicien qui avait vu un individu déposer un objet sur les rails et s’enfuir : c’était un engin explosif d’une très grande puissance ; quelques tours de roues de plus, et non seulement le train, mais une bonne partie de la gare étaient détruits. Cet incident me confirma dans mon fatalisme ; en fait, je n’ai jamais eu à regretter de m’être soustrait à la gêne insupportable d’être protégé par une police que M. Stolypine n’a jamais complètement réussi à réformer et dont les agents, — les révélations de M. Bourtzeff sur le double rôle du fameux Azeff l’ont bien prouvé, — n’étaient quelquefois pas moins dangereux que les terroristes avérés. Le meurtre de M. Stolypine parait avoir été commis par un de ces agents qui servaient et trahissaient à tour de rôle, et quelquefois en même temps, la police et les révolutionnaires.

Les terroristes s’attaquaient non seulement aux hauts personnages de l’Empire, ministres, gouverneurs généraux, gouverneurs de province, mais aux fonctionnaires de tous grades et surtout aux agents de police qui étaient littéralement traqués dans les rues et tombaient en nombre toujours croissant. En dehors de ces attentats contre les personnes, il y en eut d’autres contre les caisses publiques, banques, églises, etc. cela s’appelait des « expropriations » et procurait aux terroristes des sommes considérables : telle l’attaque, en plein jour, d’une voiture transportant, sous escorte de huit cosaques à cheval et de plusieurs agents de police, 600 000 roubles de la douane à la banque d’Etat.

La seule liste des fonctionnaires supérieurs qui tombèrent