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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/209

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exaltée, et jusqu’à quelles hauteurs ! Qu’importe à présent que Jean, qui la fuyait, périsse, englouti par la mer en courroux ! Au contraire, comme a dit Molière, « la mort rajuste bien des choses. » Molière l’a dit gaiement et clairement. Il en va de même ici, mais d’une façon plus triste et plus obscure. En extase, et sur le mode tristanesque, Blanche invoque la mer apaisée, le soleil reparu, toute la nature enfin, bienfaisante complice de l’illusion qui la ravit et lui promet le retour de l’aimé, digne enfin de son amour. A moins peut-être que ce retour, au sens purement spirituel, surnaturel, du mot, ne soit accompli par la mort même de Jean, laquelle en serait alors à la fois le moyen et le signe, ou le symbole. Nous ne savons pas très bien, et nous prions humblement le poète de nous pardonner si devant son héroïne, son amante, si peu nôtre, si peu française, l’envie nous prend de fredonner, encore avec Molière :


J’aime mieux ma mie, oh ! gué !
J’aime mieux ma mie !


Nous préférons aussi la musique de M. d’Ollone à son poème, ou du moins, le commencement de cette musique. Il y eut là quelques moments agréables, une promesse de clarté, de discrétion, de « tempérament » ou de tempérance, que la suite n’a pas tenue. Mais patience, et souhaitons d’entendre un jour, à l’Opéra-Comique, le marivaudage verlainien, Les Uns et les Autres, musique de M. d’Ollone encore. Cela pourrait bien être quelque chose de charmant.


L’auteur de Sigurd et de Salammbô détestait cordialement certain critique musical de notre connaissance. Quelqu’un ayant demandé à Henner s’il savait les raisons de cette inimitié, le grand peintre, avec son bon accent et son bon rire d’Alsacien, répondit : « Il paraît que le critique, dans un de ses articles, se serait avisé d’imprimer : « Ce jour-là, M. Reyer eut presque du génie. » Et ce diable de Reyer, lui trouve qu’il en a tout à fait, et tous les jours. »

Il eut peut-être quelque chose d’approchant, le jour, ou les jours qu’il écrivit, d’une écriture inégale d’ailleurs à son inspiration, plus d’une scène de Sigurd ; dans Salammbô, mainte page du second acte, vraiment belle et baignée de « l’obscure clarté qui tombe » non pas des étoiles, mais de Tanit, Baalet, Rabetna, Anaïtis, Astarté, Derceto, Mylitta, Tiratha, en un mot de la lune, héroïne, autant que Salammbô même, du roman et plus encore de l’opéra carthaginois.

Des cinq actes de Salammbô, le second est le meilleur. Par son