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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/603

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allaient trouver tout naturellement leur emploi quand les troupes d’assaut sortiraient de leurs terriers. Les rapports officiels constatent à quel point fut raisonnable le calcul du chef d’escadron Bouquet qui commandait l’artillerie de la 81e division. Ils ne tarissent pas d’éloges sur la précision et la sûreté des tirs de barrage exécutés à hauteur des tranchées ennemies, notamment par les capitaines Labisse (du 4e d’artillerie) et Lelièvre (commandant le 1er^ groupe de l’A. D. 81), tirs qui eurent « pour résultat évident d’empêcher d’autres assaillants de sortir de ces tranchées et d’aider les marins à mettre hors de combat les Allemands terrés dans la plaine, en tout cas de rendre à peu près impossible la retraite des troupes qui avaient échappé au feu d’infanterie. »

Ce que les rapports sont impuissants à rendre, c’est la tenue des fusiliers pendant cette attaque. Tous les carnets, tous les journaux de route, tous les mémoriaux sont unanimes et jamais peut-être le moral de la brigade ne s’éleva aussi haut. Une sorte d’ivresse sacrée, de fureur dionysiaque et vengeresse s’était emparée des hommes : de toutes les tranchées, en même temps que les balles des fusils et des mitrailleuses, partaient les cris, les interjections les plus frénétiques : « Laha néan ! Dao war he gueno ! (Tue-le ! Pan sur la g… ! Envoie dedans ! Vas-y ! Zou dans le mille ! » Tempête extravagante où collaboraient le rude idiome d’Armorique, l’argot parisien et la galéjade méridionale. « Quelqu’un qui aurait été là, dit le quartier-maître Luc Platt, se serait demandé si nous étions fous. » Ils l’étaient bien un peu à la vérité, mais d’une folie dont la brigade n’avait point encore donné d’exemple, qui n’était pas faite seulement d’exaspération patriotique, d’accès de rage sanguinaire, et qui les secouait d’un rire de Titans, — de Titans miraculeusement échappés à la pulvérisation et, de foudroyés, devenus à leur tour foudroyeurs. Ils rient quand l’attaque boche se déclenche. Ils rient quand elle enjambe ses parapets et s’étale dans la plaine. Ils rient quand les premières « capotes grises » piquent du nez dans la luzerne ou les navets. Et ce rire monte, s’enfle, gagne toute la ligne, à mesure que le drame se déroute. Quand le 75 entre en scène et que la tranchée boche « saute en l’air, « saluée à chaque explosion par les hourras des marins, il atteint presque au paroxysme :« Bravo ! Vive la France ! On les tient ! On leur casse la gueule ! » Les derniers Boches tombent. Et « tout le