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pas d’autre nom. Ce fut une action odieuse… et inutile. Tache sanglante qui restera à jamais sur leurs mains.

Le tsar Nicolas est mort.

Celui dont la voix dispensait à cent quarante millions d’hommes la joie ou la terreur, est mort. Il fut tué un matin, de bonne heure, furtivement, en secret, comme un criminel. Son âme s’en fut se présenter à Celui pour qui rois et mendiants sont pareils ; nous ne saurons jamais comment il fut jugé par ce Roi des rois, mais ce dont je suis sûre, c’est que le tsar Nicolas, mystique ardent et sincère croyant, n’a eu aucune peur de comparaître devant son Dieu…

Le monde qui s’indigne de la manière dont il fut tué, ne le jugera pourtant pas avec indulgence. Il échoua dans sa tâche, et quand on échoue, le monde vous est sévère.. Et puis nous vivons en des temps démocratiques où ceux qui sont assis sur des trônes, trouvent rarement grâce devant leurs juges.

Pourtant, le nom seul de cet homme maintenait un grand Empire, et nul ne doutait de son pouvoir : il symbolisait une force en laquelle tous avaient foi. Mais, en une heure de folie, lorsque quelques illuminés crurent marcher vers la lumière, cet homme fut supprimé, le symbole détruit, entraînant avec lui l’unité de l’Empire. Le grand État s’effrita. Le nom du Tsar était le fil qui retenait les grains innombrables du vaste chapelet de son royaume ; le fil craqua, les grains roulèrent à l’aventure et l’immense Empire fut une chose du passé.

Des grandes puissances qui sont actuellement en guerre, pas une n’accepte la responsabilité de sa mort ; elles s’en accusent mutuellement, chacune rejetant la faute sur l’autre. Là encore ce sera au Roi des rois seul à juger ; mais le Tsar est mort et il n’est pas de vérité sur terre qui puisse le faire lever de sa tombe !

Ce n’est pas en juge que je veux parler du tsar Nicolas II, dernier souverain de toutes les Russies, mais en parente, parce que, de son sang et de sa race, je l’aimais et que je l’ai connu depuis les jours heureux de l’enfance. Cruellement frappée moi-même par la grande tragédie moderne, je me sens le devoir de parler avec bonté d’un homme que je considère comme un martyr, en cette heure où le monde officiel n’ose pas se lever encore pour le défendre.