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jouirait des mêmes droits, serait soumis aux mêmes devoirs et deviendrait un citoyen ottoman. Avant la révolution de 1908 aussi bien qu’avant l’expédition de 1909 qui détrôna Abd-ul-Hamid, un accord préalable s’était établi entre les Jeunes-Turcs et les représentants des autres nationalités, Arméniens, Bulgares de Macédoine, Syriens, etc. La Turquie paraissait évoluer vers une forme fédérative qui aurait maintenu l’unité de l’Empire et permis à chaque nationalité de se développer selon ses traditions et aspirations. Vain espoir ! Les massacres d’Adana, où plus de 20 000 Arméniens périrent, furent une première révélation de ce qu’il fallait attendre du nouveau gouvernement. De dangereux idéologues, comme le docteur Nazim, soutenaient que l’État devait être exclusivement turc ; la présence d’éléments non turcs avait été le prétexte de toutes les interventions européennes ; il fallait donc « turciser, » au besoin par la contrainte, implanter des colons turcs, obliger tous les sujets ottomans à devenir des Turcs. Les agents allemands, ambassadeurs, militaires ou commerçants, encourageaient ces tendances conformes à leurs doctrines sur les droits de l’Etat et à leurs intérêts : n’étaient-ils pas les tuteurs et ne se sentaient-ils pas devenir de plus en plus les maîtres de l’Empire ottoman tout entier ?

Le résultat d’une politique si imprudente et inique ne se fit pas attendre. Les sultans n’avaient pas, en Europe, de sujets plus fidèles que les Albanais, mais, quoique en majorité musulmans, ils étaient attachés à leurs franchises locales et à leurs coutumes particularistes. Ils avaient puissamment contribué au succès de la révolution de juillet 1908 ; en récompense, les Jeunes-Turcs imaginèrent de les molester et de détruire leur organisation sociale ; ils perdirent ainsi le seul point d’appui qu’ils gardassent encore dans la partie orientale de la péninsule balkanique.. En même temps, ils s’avisèrent d’implanter au milieu des Slaves de Macédoine des mohadjirs (colons musulmans) émigrés de Bosnie-Herzégovine. La conséquence fut de réaliser l’union, qui paraissait invraisemblable, des États balkaniques, et de provoquer la guerre de 1912 ; la Turquie y perdit la Macédoine, la Crète, les lies de l’Archipel et y aurait perdu Andrinople sans la folle précipitation des Bulgares qui déchaîna la seconde guerre.

Une telle catastrophe, loin de servir de leçon aux Jeunes-Turcs,