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hors de Turquie, il a été mis en pratique par les Jeunes-Turcs à l’égard des Arméniens, des Grecs, des Syriens, et même des musulmans arabes.

La méthode de déportation appliquée aux populations chrétiennes n’est pas une invention turque ; elle a été préconisée par les Allemands ; ils se proposaient de l’appliquer à l’Alsace-Lorraine, s’ils avaient été vainqueurs ; mais les Turcs y ajoutèrent la manière. .En dénonçant ici les massacres et les déportations qui ont fait périr, en 1915, environ huit cent mille Arméniens, nous ajoutions au titre les mots : « Méthode allemande, travail turc : » c’est la double signature. Les Allemands y ont apporté leur esprit d’organisation, et c’est d’après leurs leçons que les massacres ont été pratiqués avec suite et régularité. Depuis Abd-ul-Hamid, la Turquie a fait des progrès ; elle a introduit l’ordre dans l’assassinat de ses propres sujets ; les Jeunes-Turcs se sont vantés de dépasser leur précurseur et de procéder à une extirpation radicale et complète du peuple arménien. « J’ai plus fait en trois mois pour résoudre le problème arménien, disait Talaat à l’ambassadeur des États-Unis, qu’Abd-ul-Hamid en trente ans. » Livrés à leurs propres inspirations, affranchis de toute surveillance, grisés par les échecs des Alliés devant les Dardanelles, assurés de l’impunité par la certitude de la victoire allemande, les Turcs perdirent pied ; il se produisit un phénomène psychologique que M. Morgenthau définit justement un retour au type primitif. « Maintenant que les hasards de la guerre favorisaient l’Empire, un type entièrement nouveau m’apparaissait, ! écrit cet observateur pénétrant. L’Ottoman timide et craintif, cherchant son chemin avec précaution à travers les méandres de la diplomatie occidentale, et tâchant de profiter des divergences d’opinions des grandes Puissances, fit place à un personnage arrogant, hautain, presque audacieux, orgueilleux, affirmant ses droits, résolu à vivre sa propre vie et manifestant un mépris absolu pour les chrétiens. » Ge Turc-là, qui est le vrai Turc, est bien loin des descriptions idylliques des romanciers ; ceux qui l’ont vu à l’œuvre, tortionnaire et assassin, voleur et lubrique, en ont gardé une vision d’épouvante. Il ressort avec évidence de tous les témoignages que le gouvernement jeune-turc a voulu et organisé l’extermination totale des Arméniens, que les Allemands les y ont encouragés et aidés et