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dialecte turc, mais écrivent en persan ; leur confession chiite ne les rapproche pas des Turcs Ottomans. Les Jeunes-Turcs et les Allemands convoitaient particulièrement l’Azerbaïdjan (c’est-à-dire la région du lac d’Ourmiah dont la capitale est Tauris) qui ouvre entre les vallées de la Transcaucasie et le plateau Persan la grande voie historique des invasions et du commerce. Par là, l’influence turque s’étendrait sur la Perse et l’Afghanistan ; par le Turkestan elle agirait sur l’Asie centrale et sur les Indes. Les Turcs savent que c’est par là qu’au XVIe siècle le grand-mogol Bâber descendit dans la vallée de l’Indus et soumit la péninsule à sa dynastie.

Ainsi les visées de la politique pantouranienne étaient vastes et portaient loin. Il va sans dire que cet échafaudage d’intrigues et de propagande était inspiré et organisé de Berlin. L’idée panturque avait aussi trouvé des adeptes parmi les Hongrois, tels que le comte Paul Teleki, président de la société de géographie de Budapest, ils se proposaient de réveiller chez les Magyars la fierté de leur descendance turque et le goût d’un rapprochement politique et commercial avec les diverses branches de la famille touranienne. La suppression des Arméniens était naturellement un article du programme pantouranien, car cette race tenace et prolifique s’interpose entre les Turcs d’Anatolie et ceux du Caucase et de l’Azerbaïdjan.

Il est important de remarquer que pantouranisme et panislamisme ne sont pas synonymes ; les deux politiques, géographiquement, ne se recouvrent pas, puisque les Arabes ne sont pas des Touraniens ; le panislamisme a, avant tout, un fondement religieux ; il n’est pas autre chose que le sentiment de la communauté de croyance entre les musulmans des divers pays. Lorsque le Sultan, sur l’injonction des Allemands, proclama la guerre sainte, sa parole n’eut qu’un très faible retentissement dans l’Islam non turc. Les Arabes, avec l’appui de l’Entente, ont revendiqué leur indépendance et dénié au Sultan des Turcs le droit au califat ; ils ont dressé en face de lui le grand chérif de la Mecque, descendant du Prophète, que l’Entente a reconnu comme roi du Hedjaz.

Après la révolution bolcheviste et la ruine de la puissance militaire de la Russie, les conceptions chimériques du pantouranisme parurent cependant se réaliser. La Mer Noire devenait un lac turco-allemand. Le traité de Brest-Litovsk avec