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Deux carrosses dorés le suivent à peu de distance, magnifiques véhicules semblables à ceux que les enfants imaginent dans les contes de fées. Dans le premier sa mère est assise, sa femme dans le second.

Au-dessus du carrosse fermé de l’Impératrice douairière, est figurée une grande couronne, en signe qu’elle fut couronnée naguère et en témoignage de la puissance terrestre qui fut la sienne. Elle porte une tiare d’une splendeur éblouissante ; son cou et sa poitrine scintillent de joyaux ; sa robe et son manteau sont en or brillant. Encore très populaire, encore agréable à regarder, elle salue de tous côtés ; elle a ce grand charme qu’elle partage avec sa sœur, la reine Alexandra, si aimée en Angleterre.

Ni le second carrosse, ni la femme qui y est assise, en somptueux appareil pourtant, ne portent de couronne ; car ce n’est qu’après le sacre qu’Alexandra entrera dans toutes ses prérogatives, et, en attendant, le droit de préséance appartient encore à l’Impératrice douairière.

Elle est bien différente de l’autre, la jeune femme du carrosse sans couronne. Infiniment plus belle que celle-là ne l’a jamais été, nul sourire n’habite ses lèvres ; elle est assise toute droite, avec une expression si sérieuse qu’elle en est presque pénible à voir. La bouche, aux lèvres serrées, a une rigidité qui étonne chez un être si jeune. On ne lit pas de bonheur dans le regard froid de ses yeux gris, mais bien plutôt une préoccupation méfiante, comme si elle s’attendait à ce que la vie la traitât en ennemie plutôt qu’en amie. Elle est certes consciente de la solennité de l’heure, de tout ce qu’elle-même représente, mais on dirait qu’elle en ressent de la terreur plus que de la joie. Certes, elle est belle, et jeune, et imposante, mais on cherche vainement en elle ce je ne sais quoi, qui en fut toujours absent, même alors qu’un brillant avenir s’ouvrait devant elle. Était-ce manque de confiance en son peuple, manque de tendresse et de cette sympathie intuitive qui rapproche petits et grands, quelle que soit entre eux la distance ? Je ne saurais le dire ; mais en dépit de sa jeunesse et de sa beauté, en dépit de cette solennelle reconnaissance de ses futurs devoirs, elle n’a pas ce quelque chose que rien ne remplace : l’étincelle, la flamme qui réchauffe…

Le carrosse doré passe, les têtes découvertes s’inclinent devant