Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porte son nom, en s’approchant des frontières de la Perse et de la Transcaucasie. La gigantesque borne de l’Ararat se dresse à plus de 7 000 métros à la frontière des trois empires et, à ses pieds, s’abrite le vieux monastère d’Etchmiadzin où réside le Catholicos, chef religieux et national du peuple arménien. Une partie de l’ancienne Transcaucasie russe (région d’Erivan, haute vallée de l’Aras, région du lac Sevanga) fait aussi partie du domaine ethnographique des Arméniens. Sur la Mer Noire, la région côtière, l’ancien Pont, avec Trébizonde, est habitée par un mélange de Grecs, de Turcs, de populations lazes et géorgiennes, et d’Arméniens.

Les Arméniens ont été, sans doute, le peuple le plus éprouvé par la grande guerre. Environ 800 000 d’entre eux ont été massacrés ; leurs femmes et leurs enfants sont encore enfermés dans les harems turcs ou sous les tentes kurdes. Nous avons dit ici cette gigantesque horreur, telle que le monde n’en avait pas vu depuis les sombres époques des Huns ou de Timour [1]. Nous ne reviendrons pas sur l’épouvantable drame qui, comme l’a écrit l’Allemand Stuermer, « coïncida avec l’époque de la plus grande influence allemande à Constantinople [2] ; » il fallait seulement le rappeler parce qu’il est l’un des fondements des revendications arméniennes. Les Arméniens ont été pendant la guerre, des belligérants de fait ; les fugitifs, échappés au grand massacre, ont organisé des corps de volontaires et se sont battus en Transcaucasie, sous les ordres des Antranik et des Nazarbekoff, jusqu’à l’armistice ; d’autres ont formé la légion qui a combattu en Syrie avec les contingents français. Partout, les soldats arméniens ont fait preuve de courage et de discipline. La libération du peuple arménien a été proclamée, depuis longtemps, comme l’un des buts de guerre des Alliés ; il doit constituer un État indépendant. Mais la résurrection de l’Arménie est infiniment plus difficile que celle, par exemple.

  1. Voyez la Revue du 1er février 1916 et notre brochure : La Suppression des Arméniens (Perrin, in-16). Les deux documents capitaux sont le Livre bleu publié par le vicomte Bryce et traduit en français, et le rapport secret du professeur allemand Lepsius, que nous avons réussi à nous procurer et qui a paru sous le titre : Le Rapport secret du docteur Johannes Lepsius, publié, avec une préface, par René Pinon (Payot, in-16).
  2. Harry Stuermer, Deux ans de guerre à Constantinople. Comparez les pages poignantes des Mémoires de l’ambassadeur Morgenthau. Voyez aussi la collection de la revue : La Voix de l’Arménie.