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leurs énergies en luttes de partis ; l’esprit pratique des Américains et le ferme bon sens des Français les retiendront sur la pente fatale ; ils les empêcheront aussi de se livrer à la joie sanglante des représailles et des vengeances, si légitimes qu’elles puissent être.

Les débuts de l’Arménie indépendante seront difficiles, mais son avenir est assuré et son peuple deviendra, dans cette Asie si longtemps endormie, un élément actif de progrès et de civilisation ; c’est pourquoi si, sans doute, la France est elle-même trop éprouvée pour se charger seule du mandat de l’assister, elle se doit du moins à elle-même d’y contribuer, car entre son génie, mélange d’idéalisme ardent et de droite raison, et le caractère arménien, il existe des affinités naturelles qui pourront se traduire en liens moraux et politiques.


VI

Quand on franchit l’Amanus en venant de l’Ouest, ou quand, en se dirigeant vers le Sud, on dévale des plateaux arméniens et des hauteurs du Kurdistan, on entre dans un monde nouveau : c’est la plaine ; ce serait la steppe et le désert si le Tigre et l’Euphrate n’arrosaient la Mésopotamie et si, le long de la Méditerranée, les montagnes de Syrie n’attiraient quelques nuages bienfaisants. Entre l’Euphrate et les oasis syriennes, c’est le désert, hanté des Bédouins, qui se prolonge indéfiniment vers le Sud jusqu’à l’Océan Indien à travers toute la péninsule arabique. Ces immenses régions, dont l’histoire a été si brillante, sont aujourd’hui peu peuplées ; le régime turc les a ruinées. Des tribus d’Arabes nomades conduisent leurs troupeaux sur un sol où des millions de laboureurs prospéraient autrefois. Des populations diverses, les unes musulmanes, les autres chrétiennes, les unes sédentaires, les autres nomades, vivent en Syrie et en Mésopotamie. La majorité d’entre elles parle arabe ; mais, même parmi les Arabes, il n’existe aucun sentiment d’unité, aucune trace de l’idée de nation ; les Bédouins vivent en tribus, les Arabes sédentaires, musulmans ou chrétiens, sont adaptés à la civilisation occidentale.

Il faudrait de longues pages pour expliquer quelle a été, pendant la guerre, l’évolution de la question arabe et syrienne ; nous n’en pouvons indiquer aujourd’hui que les très grandes lignes.