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Siam, etc., ils ont formé de puissantes congrégations avec lesquelles les autorités locales sont souvent obligées de compter.

Les proscrits de Mandchourie créèrent pareillement des fédérations dont les chefs étaient chargés de protéger la vie de chacun et de procurer à la communauté tout ce qui était nécessaire à l’existence de ses membres.

La plus connue est la petite République, qui s’établit non loin de la frontière russe, sur les bords de la Chetouga, affluent de l’Amour, et qui est peut-être la plus curieuse expérience communiste qui ait jamais été tentée avant celle qui se poursuit en Russie. Ses membres, qui s’étaient délibérément placés hors la société chinoise, consentirent à faire partie d’une communauté beaucoup plus étroite, beaucoup plus sévère, dans laquelle chaque individu n’était plus qu’une simple unité, un rouage de la machine sociale. Tout était commun : les moyens de production et le produit du travail de chacun. Personne n’avait le droit de posséder quelque chose en propre. Tenter de s’approprier une parcelle de l’or que l’on avait extrait, était un délit puni sévèrement par les lois que s’était imposées la fédération. Dérober à la communauté une partie du temps que chacun lui devait était également un crime, mais ce crime n’avait pas besoin d’être puni par la loi, car le coupable se châtiait lui-même : le travail des membres de la communauté était, en effet, rémunéré, non en argent, mais en bons de crédit, qui, seuls, permettaient d’obtenir des magasins de l’association la délivrance des diverses choses dont chacun avait besoin.

Ceux qui travaillaient peu ne pouvaient se procurer que le strict nécessaire, de quoi ne pas mourir de faim et de froid. Ceux qui ne voulaient rien faire se voyaient impitoyablement refuser tout secours. Les bons ouvriers pouvaient, au contraire, obtenir tout ce qui existait dans les dépôts.

Les agitateurs russes, Lénine, Trotsky, auraient pu aller prendre de salutaires leçons auprès de la République de la Chetouga. Ils auraient constaté que, dans ce milieu, le communisme ne consistait pas à faire vivre les individus aux dépens de l’État et à favoriser la paresse de ceux qui voulaient être bien nourris, bien vêtus et jouir de l’existence sans s’imposer le moindre effort pour le bien de tous. La République de la Chetouga