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tout ce qui était nécessaire à l’existence des citoyens de la République de la Chetouga. Personne n’ignorait, à la Cour céleste, le trafic auquel se livraient les fonctionnaires de la Mandchourie et la source des scandaleuses fortunes qui s’édifiaient si rapidement dans cette région. Les hauts personnages ne s’en préoccupaient que pour solliciter leur nomination à un poste de gouverneur d’une des provinces mandchoues, afin de pouvoir bénéficier de l’industrie des Khoungouses.

D’aucuns prétendent, non sans vraisemblance, que les fonctionnaires russes de la Sibérie orientale n’étaient pas non plus insensibles aux lourdes barres d’or dont les gratifiaient les proscrits de la Chetouga, lorsque leurs chariots franchissaient la frontière. Un accord intervenu entre la Cour de Pékin et le gouvernement russe interdisait cependant l’entrée sur le territoire sibérien des convois khoungouses transportant le métal précieux.

Parmi les groupements que formèrent les proscrits des terrains aurifères de la Mandchourie, la fédération de la Chetouga était assurément le mieux constitué. La perfection, et en même temps la simplicité de son organisation, lui avaient permis d’acquérir un développement vraiment extraordinaire dans une région dépourvue de toutes ressources. Il est vrai qu’elle n’a jamais compté plus de vingt-cinq à trente mille membres. Une plus nombreuse population eût nécessité des rouages administratifs complexes et n’eût pas permis d’obtenir avec un organisme rudimentaire une prospérité aussi grande que celle dont les chefs de la Chetouga se faisaient gloire.

Outre le génie de leur race, outre leurs instincts qui, depuis bien des siècles, éloignent les Célestes de la vie individuelle et les poussent à s’associer, les proscrits des placers mandchous se trouvaient dans l’absolue nécessité de pratiquer le communisme. Le pays où il leur fallait vivre ne permettait pas d’autre organisation sociale. Les individus isolés étaient fatalement condamnés à mourir de misère dans cette sinistre région où ils ne pouvaient se procurer ni vivres ni vêtements. L’or lui-même qu’ils réussissaient à recueillir ne leur était d’aucun secours, étant donné qu’il n’existait pour eux aucune possibilité de l’échanger sur place contre des vivres et contre des vêtements.