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les Nippons et reprendraient le chemin des montagnes du Grand Khingan, car, chez les Khoungouses, les ordres s’exécutent sans jamais être discutés.

J’eus à ce moment l’impression très nette que le jour où la Chine, devenue forte grâce à son évolution, voudrait rétablir sa domination sur la Mandchourie, elle pourrait, avec un peu de diplomatie, trouver chez les Khoungouses des auxiliaires dont le concours lui serait précieux. Si la plupart de ces aventuriers étaient hors d’état d’envisager un pareil avenir, l’esprit clairvoyant de leur chef pressentait la place que le pays du Milieu est destiné à occuper dans le concert des grandes Puissances. De tout temps, une antipathie profonde a séparé Célestes et Nippons, comme le prouvent leurs guerres passées. Les premiers espèrent bien reprendre aux seconds en Extrême-Orient la place prépondérante que ces derniers y occupent actuellement., Cette conviction de la supériorité de la Chine, dans laquelle il faut voir un des plus puissants mobiles de la rénovation Céleste, était évidente chez le chef des Khoungouses. Elle perçait sous ses paroles, en dépit de la réserve habituelle des Chinois de haute caste. Ce mandarin déchu, banni de sa patrie, devenu le chef d’une fédération de malandrins, restait pénétré de la grandeur de la Chine et songeait à la revanche, inévitable à son sens, des Célestes sur les Nippons.

Telle fut, retracée aussi brièvement que possible, l’organisation de la fédération khoungouse, première expérience bolcheviste.

Si l’on se souvient que les Chinois ont toujours été enclins à créer des associations ou congrégations où ils se prêtent mutuellement assistance, que les membres de ces organismes pratiquent la plus étroite solidarité, on ne doit pas s’étonner de constater que la première expérience de bolchevisme ait été tentée par des Célestes. Mais le bolchevisme de la République de Chetouga était infiniment supérieur au lamentable essai qui a non seulement ruiné la Russie et causé la mort de millions d’êtres humains, mais pouvait encore entraîner la défaite de l’Entente et faire perdre à l’humanité ses conquêtes les plus précieuses dans le domaine de la civilisation et de la liberté.


FRANCIS MYRY