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attendant l’heure fatale. Et pour mêler l’agréable à l’utile, La Fayette a fait édifier, entre les logis des bêtes bovines et porcines, une volière où jacassent les grues à couronne, les poules de la Chine, les canards branchus de la Caroline, les oies de la Louisiane et les hoccos du Mexique.

Pour mener son œuvre à bien, il est en grand commerce avec un agronome français, l’abbé Teyssier des Farges, qui fut le « père des mérinos » en France et qui demeure à Béton Bazoches, non loin de La Grange. Louis XVI, jadis, a confié à Teyssier des Farges l’administration de Rambouillet, où il a acclimaté le mérinos d’Espagne. Depuis lors, le mérinos a essaimé ; à la fin de sa vie, La Fayette en possédera 750 à La Grange.

A La Grange abondent aussi les bêtes à cornes. La Fayette n’hésite pas à en faire venir du canton de Schwitz, d’Angleterre et des États-Unis. Quant aux porcs, ils appartiennent à des races si cosmopolites qu’il est malaisé de maintenir entre eux l’entente cordiale Et naguère encore, on se souvenait à La Grange d’un combat héroïque livré par un beau verrat de Chine contre son rival de Baltimore, qui causa la mort d’un des deux adversaires et rendit La Fayette très chagrin. Il serait fastidieux de parler ici des « récoltes » du général. Disons seulement qu’il cultiva jusqu’à la vigne et qu’il recueillit un vin si bon (à son avis) qu’il le préférait à tout autre lorsqu’il sentit décliner ses forces.

En un mot, La Fayette transforma son domaine en ferme modèle et fit profiter de son enseignement grand nombre de cultivateurs de la Brie, en un temps où l’agriculture de cette riche contrée prenait un vaste essor.

Par malheur, l’aménagement de sa ferme modèle, à laquelle il consacrait le meilleur de son temps, l’entraîna à des dépenses excessives [1], Dissipateur dans sa jeunesse, il fut toute sa vie

  1. Les terres qui étaient échues autour de La Grange à Mme de La Fayette représentaient le cinquième des biens de sa mère, soit 500 000 franc ». La Grange était estimé 36 000 francs, la ferme de la Basse-Cour valait 136 485 francs. Il faut y ajouter trois autres fermes dont « La Fayette s’occupe avec autant d’amour. » Les innovations du général sur ses terres ne se comptent pas. Il fut le premier à cultiver la luzerne en Brie ; il y fit construire une des premières raffineries, etc. Dans son « domaine chéri, » les occupations agricoles qui, écrivait-il, « donnent à l’esprit et au corps un peu d’exercice sans aucune fatigue, » passaient pour lui avant toute autre. En 1804, Dupont de Nemours lui écrit pour le mettre en garde contre les dépenses excessives et l’engage à accepter le gouvernement de la Louisiane que lui offre Jefferson. La Fayette refuse.