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d’une « impécuniosité » qui affligeait Mme de La Fayette. Esclave de sa popularité, généreux à l’extrême, il dépensait au delà de ses revenus et l’exploitation même de cette ferme fut plus utile au pays qu’à sa propre bourse.

Au reste, à La Grange, La Fayette tenait table ouverte, imitant en cela les traditions hospitalières des grands sous l’Ancien Régime. Pendant toute sa retraite, et même jusqu’à sa mort, la vie, chez lui, sera une « existence type, » la « vie à la campagne » d’une classe sociale que la Révolution a simplifiée, qui conserve le goût des choses de l’esprit, l’amour de cette conversation qui « vingt ans plus tôt était souveraine en France, » et qui, un peu dédaigneuse du faste des nouveaux riches, sait vivre d’une manière patriarcale. Rien de « fossile » en ce manoir. C’est la demeure d’un grand seigneur libéral où souffle l’air de l’indépendance. Pas un homme, — à quelque parti qu’il appartienne, — qui n’y soit reçu, pourvu qu’il soit une « intelligence. » Dans l’ensemble, La Grange sera toujours un milieu d’avant-garde. Autour de lui, on frondera sous l’Empire, sous la Restauration et même sous la Monarchie de Juillet.

Tant que vit Mme de La Fayette, elle exerce sur lui une heureuse influence. Autour de cette femme d’élite gravite une famille de choix. Sous l’Empire, trois jeunes ménages demeurent à La Grange, dont les enfants, nous dit lady Morgan, sont « mieux élevés que ceux de la royale éducatrice, Mme de Maintenon. »

Anastasie de La Fayette, fille ainée du général, a épousé en Hollande M, de La Tour-Maubourg, frère de l’aide de camp de La Fayette, cet aide de camp qu’il appelait « mon ami intime, mon frère d’amitié, d’armes et de révolution. » C’est une jolie femme, très simple, vaillante naguères dans l’épreuve, un peu défiante d’elle-même. Elle possède l’esprit observateur de son père. A peine installée à La Grange, elle a placé dans l’antichambre des appartements de La Fayette, la caricature qu’elle a faite à la plume du geôlier d’Olmütz : un caporal autrichien grotesque et terrible. Non moins charmante est la seconde des sœurs La Fayette : Virginie, qui, — par les soins de sa tante Montagu, — a épousé en 1802 Louis de Lasteyrie, neveu du commandeur de Malte, qui l’a élevé dans son île romantique. Doux, brave, instruit, — et beau, — il a conquis sa fiancée par le respect touchant qu’il conservait à la mémoire de sa mère,