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Dans les dernières années de l’Empire, — voire sous la Restauration et sous la monarchie de juillet, après les deux rentrées successives qu’il avait pensé devoir faire sur la scène politique, — La Fayette continua d’être le Mécène de La Grange ou il aimait toujours venir goûter la « paix. » Il s’y était tracé un programme de vie qui ne varia guère au cours de ces longues années.

Chaque matin, il se lève à cinq heures et, dans sa petite chambre du deuxième étage où le soleil vient se jouer sur ses plus chères reliques, -les portraits de son père, de sa grand’mere, de ses tantes, du maréchal de Noailles, du duc d’Ayen, de la pieuse duchesse de Lesparre, son amie, — il procède à une toilette raffinée, car il demeure tout à fait « du bel air. Dans le jour, la redingote bleu de roi ; le soir, l’habit. Tous ceux qui l’ont vu au déclin de sa vie ont été frappés de la noble silhouette du vieillard qui, d’un pas un peu lent, arpente le parc de La Grange dans sa promenade matinale. « Sa haute taille, sa large poitrine ajoutent à la noblesse de son maintien. Sa figure est calme, pleine, sans rides et son teint a de la fraîcheur. Il porte une perruque à la Titus qui ne nuit point à l’ensemble patriarcal de toute sa personne... Son visage vénérable porte dans tous les traits l’empreinte des belles actions qu’il a faites, des sentiments qu’il a déployés. Mais il s’y mêle aussi l’impression des souffrances du prisonnier d’Olmütz Hélas ! on voit à sa démarche pénible, les habitudes d’une longue captivité. On reconnaît le martyr de ses opinions généreuses. » [1]

Pendant une grande partie de la matinée, La Fayette travaille à sa correspondance très étendue. Dénombrer les amis auxquels il écrit serait impossible : Bolivar, l’économiste Bentham, le président John Quincy Adams, Henry Clay, David d’Angers, qui a fait son buste et l’a offert au Congrès américain, Edward Livingstone auquel La Fayette reproche un jour « d’avoir reconnu un vil tyran tel que Dom Miguel, » Charles Morgan, Ary Scheffer, sont du nombre de ceux qui reçoivent le plus souvent ses lettres.

Volontiers aussi, La Fayette, le matin, fait le tour du propriétaire

  1. Ce portrait un peu romantique est extrait de la Biographie pittoresque des députes (S. N., Paris. 1820). Ajoutons que la « démarche pénible » de La Fayette dans les dernières années de sa vie, était due à une fracture de la jambe.